Comment mettre fin à la transition chaotique du Premier ministre Ariel Henry ?

Sonet Saint-Louis, Avocat

Par Me Sonet Saint-Louis,

PORT-AU-PRINCE, samedi 2 mars 2024-Des personnes que l’on croyait sensées ont affirmé péremptoirement qu’elles pouvaient renverser Ariel Henry à la direction du pays et le remplacer par des citoyens issus d’élections organisées “au second degré” par le groupe de Montana. C’est une hérésie. L’idée de remplacer une transition par une autre échappe à la compréhension de la communauté internationale. C’est ma thèse finalement galvaudée par nos “tuteurs” et reprise par le pouvoir hors contexte. On me copie sans me citer. Gare à la fraude !

Le Dr Ariel Henry déclare qu’il gouverne sur la base de l’article 149 de la Constitution. Or, lors de sa prise de fonction, il n’existait pas de parlement et le président Jovenel Moïse, au moment de son assassinat, avait déjà entamé la cinquième année de son mandat ; du moins selon sa propre interprétation de l’article 134-2 de la Constitution. Normalement, en cas de vacance présidentielle, il reviendrait à l’Assemblée parlementaire d’élire un nouveau président pour le reste de son mandat. Celle-ci, comme on le sait, n’existait pas. L’équipe d’Ariel Henry et ce dernier étaient dans l’erreur.

Ainsi, depuis trente-et-un mois, la société haïtienne assiste à un débat entre faussaires dans une république de faussaires. La communauté internationale est entrée dans ce jeu morbide. Mais apparemment, son objectif est d’éliminer ce clan de faussaires pour faire émerger une autre classe politique et des entrepreneurs, car celle-ci s’est révélée incapable d’évoluer dans une Haïti moderne dominée par les principes de la démocratie, de l’État de droit et de la bonne gouvernance. À quoi sert en fait cette classe politique puisque Haïti ne dispose d’aucun élu légitime capable de décider au nom de la république ? On veut appliquer la Constitution alors que les institutions responsables de sa mise en œuvre n’existent pas. Comment rétablir les institutions démocratiques sans passer par des élections ?

Les négociations qui se sont déroulées toute l’année 2023 entre les signataires de l’Accord du 21 décembre 2022 ont été interrompues. Vont-elles reprendre ? On l’ignore. Ce qui est sûr, c’est qu’il viendra un moment où il n’y aura plus de négociations faute de négociateurs. En tout cas, la communauté internationale joue sur le temps long. Au huitième de final, il n’y aura plus d’équipes en lice. La politique des sanctions imposées à tort ou à raison aux membres de l’élite en est la preuve.

Ariel Henry promet d’organiser des élections en 2025 et les éventuels élus entreraient en fonction en 2026. Avec une telle programmation, il aura ainsi passé cinq ans au pouvoir, sans grand effort. Quand on a le soutien du “Bon Blanc” américain, on a vraiment tout. Mais sauf le ciel, heureusement. Celui qui a tout perdu a encore Dieu comme planche de salut.

Bien qu’il ait été élu à deux reprises, le président Jean-Bertrand Aristide, victime à chaque fois de coups d’État, n’avait pas totalisé cinq ans au pouvoir. Élu en 1988, Leslie Manigat n’est resté à la tête du pays que quatre mois. Tous deux victimes de cette classe politique impatiente et d’une communauté internationale ne cherchant que des hommes liges. Des coups d’État permanents pour imposer la transition en permanence. Une démocratie rongée par une classe politique mal éduquée.

*La démocratie renvoyée aux calendes grecques*

Le système que nous avons choisi en adoptant une constitution démocratique est renvoyé aux calendes grecques. Tout le monde a une transition dans la poche. Transition apaisée, transition de rupture, transition constitutionnelle. La transition infinie semble être le modèle de gouvernance que réclament nos élites : une gestion sans contrôle, sans transparence, sans reddition de comptes. Un gouvernement de vices, dépourvu d’éthique, voici notre choix.

Mais s’il en est le cas, il faut alors l’assumer. Qu’on ne vienne pas surtout tromper les gens avisés ! Mais cette classe politique doit une fois pour toutes se mettre dans la tête qu’il n’y a de vertu dans les gouvernements de transition. Ce recours permanent à ce type de gouvernance ne fait que nous éloigner du choix de société inscrit dans la Constitution de 1987. Le vote du peuple, dépositaire exclusif de la souveraineté nationale, doit être accordé de manière libre et éclairée. Tout pouvoir exercé sans le consentement du Souverain relève de la violence. Le pouvoir doit être délégué, non confisqué. Comment faire comprendre à cette classe politique et aux Haïtiens que garder les institutions en vie est la meilleure politique ? Après l’assassinat de Jovenel Moïse, il était impossible de désigner constitutionnellement un successeur. Au lieu de renforcer les bases de la république et de notre démocratie, il s’était contenté de faire du “jovenelisme” lorsqu’il était au pouvoir. L’État meurt aujourd’hui faute d’institutions.

Il existe des Haïtiens qui veulent des élections et qui seraient prêts à se battre pour que le vote ne soit ni extorqué par la violence ni la corruption mais qu’il se déroule dans les meilleures conditions. Mais la classe des dominants semble être plus forte. Nous sommes arrivés à cette impasse parce que la classe politique haïtienne est fondamentalement incapable. Ariel Henry détient le pouvoir de fait mais personne ne parvient à le soumettre à une force supérieure pour obtenir son départ. Il continue son bonhomme de chemin.

Qu’on le veuille ou non, il demeure donc le grand gagnant de la journée du 7 février 2024. Ensuite, Guy Philippe, qui a intelligemment fait oublier la situation de dégradation civique dans laquelle il se trouve. Reconnu coupable pour des faits criminels, il tente, après plus de huit ans passés dans une prison américaine,  de se refaire une virginité politique et éthique. Il s’est donc aussi recapitalisé.

Quoiqu’on dise, le type n’est pas un idiot puisqu’il est parvenu à diviser une opinion publique orpheline de leaders. Le grand perdant, c’est la classe politique traditionnelle sans ancrage populaire qui était dans l’attente d’un chambardement général qui n’est pas arrivé. Quant à Ariel Henry, il ne dirige rien mais ne veut pas partir. Le peuple a raison d’exprimer ses frustrations mais il risque de perdre faute d’une direction claire et précise. C’est une constante. Quelle tristesse !

Changer la donne !

Pour changer la donne, il faut engager de nouvelles et intelligentes batailles. Ce qui suppose une stratégie de ralliement pour gagner la bataille démocratique à venir. Le temps est au bon sens et à la raison, et non à la démagogie qui épuise l’énergie du peuple revendicatif.

Au comble de l’insécurité, de la détresse haïtienne, Ariel Henry s’est rendu en Afrique pour solliciter de l’aide pour désarmer les bandits que les élites sauvages de notre pays ont sciemment armés pour avancer leur agenda politique et étendre une économie criminelle en Haïti.

Quatre interventions militaires étrangères en un siècle, trois en moins de trente ans, la déchéance est totale. En histoire, deux erreurs consécutives ne donnent jamais droit à une troisième. Mais voilà, nous en sommes à une quatrième. C’est une immense faillite !

Nos élites sont tellement bêtes qu’elles sont dans l’impossibilité totale de trouver un accord pour que cessent de mourir aussi sauvagement et impunément leurs frères et sœurs. Elles ne veulent que le pouvoir et l’argent. Quelle hiérarchie de valeurs !

Les fondements de la société étant complètement renversés, les justes, les patriotes, les modernes doivent s’armer de courage et prendre finalement en mains le destin de cette nation endolorie pour imposer la vérité.

Sonet Saint Louis av Professeur de droit constitutionnel à la Faculté de droit et des sciences économiques à l’Université d’État d’Haïti. 1er mars 2024 sonet.saintlouis@gmail.com Tél : 509-44073580.