Analyse : Baisse significative des créations de sociétés anonymes en Haïti en 2023

Vue partielle du batiment logeant le Ministere du Commerce...

PORT-AU-PRINCE, mardi 9 janvier 2024– La sonnette d’alarme doit retentir face à la situation économique désastreuse d’Haïti, où quasiment tous les indicateurs macro-économiques virent au rouge. Cette situation est le résultat de l’insécurité perpétuelle causée par les gangs et des effets de la récession mondiale. Cette fragilité inédite se traduit par une baisse alarmante de la production, des finances publiques fragilisées par un manque de ressources et un climat des affaires dégradé. Ce déclin a engendré une diminution notable de la création d’entreprises, d’emplois et du pouvoir d’achat, amplifiant la précarité. Cette spirale pousse les citoyens à émigrer vers d’autres contrées à la recherche d’une meilleure qualité de vie, alimentant ainsi un cercle vicieux.

En Haïti, l’année 2023 a enregistré la création de 113 sociétés anonymes, marquant une nette diminution par rapport aux 134 établies en 2022. Ces données, collectées auprès des Presses Nationales d’Haiti, institution responsable de la publication des sociétés anonymes enregistrées, soulignent une baisse de 15,67 %. Cependant, les secteurs ou domaines dans lesquels ces entreprises ont été fondées n’ont pas été précisément révélés.

Des avocats renommés du pays ont confirmé que les Cabinets d’Avocats, habituellement sollicités pour la constitution de dossiers de sociétés anonymes, ont connu une demande très faible dans ce domaine au cours de l’année 2023.

Cette chute peut s’expliquer par une combinaison de facteurs structurels et conjoncturels qui entravent les investissements en Haïti. Du point de vue structurel, la création d’une société anonyme s’avère être un processus complexe et chronophage, impliquant diverses institutions, du Ministère du Commerce à la présidence, avec une durée pouvant dépasser 97 jours, largement due à la paperasserie administrative. Pour initier une entreprise anonyme, la constitution d’un dossier en trois exemplaires, dont deux originaux, est requise. Ce dossier, soumis au Ministère du Commerce et de l’Industrie, comprend une série de pièces telles que les statuts de la société, l’acte de dépôt des statuts chez un notaire, l’acte constitutif de l’entreprise, ainsi que les bulletins de souscription des actionnaires. Les preuves de versement d’au moins un quart de cette souscription pour chaque actionnaire accompagnent ces documents.

En ce qui concerne les facteurs conjoncturels, plusieurs éléments sont à considérer. La crise sécuritaire, exacerbée par la prolifération continue des gangs armés, la crise sociopolitique ayant un impact sur le Produit Intérieur Brut (PIB) et l’inflation persistante, le retard dans la réalisation de certains grands projets de construction et de réhabilitation d’infrastructures publiques, ainsi que l’attentisme et la prudence des acteurs économiques face à la dégradation continue du climat des affaires, ont tous contribué à cette tendance baissière. En outre, la diminution notable de la main-d’œuvre disponible, l’installation de postes de péage par des groupes armés, impactant la circulation de biens et de personnes, ont également joué un rôle dans ce déclin.

Selon l’avis de l’économiste Thomas Lalime, d’autres facteurs tels que la corruption, la fermeture d’entreprises en raison d’un environnement économique difficile, la diminution du nombre d’étudiants dans les universités d’Haïti (parfois les diplômés créent des entreprises), le manque d’accès au crédit, ainsi que l’absence d’incubateurs d’entreprises et de politiques publiques favorisant la création d’entreprises et de sociétés, doivent également être pris en considération.

Le spécialiste financier Lucien St Louis établit un lien entre cette baisse et le déclin des activités économiques. Il souligne une diminution notable des portefeuilles de prêts bancaires, passant de 159 milliards de gourdes en mars 2023 à 145 milliards de gourdes fin juin, soit une réduction de 8,6%. De même, les dépôts bancaires ont chuté de 577 milliards de gourdes en mars à 529 milliards de gourdes, représentant une baisse de 8,4%.

Cet ensemble de facteurs a ralenti la création de sociétés anonymes, mettant en lumière des défis majeurs à relever pour stimuler l’entrepreneuriat et l’investissement en Haïti. Des projets comme « le Projet d’Appui au Développement du Secteur Privé via la Promotion des Investissements”, du Centre de Facilitation des Investissements visent à dynamiser le secteur privé, mais des défis subsistent, notamment la nécessité de restaurer la confiance internationale, compromise par des problèmes sécuritaires et des préoccupations judiciaires.

Suite à l’assassinat du président Jovenel Moise le 7 juillet 2021, plusieurs firmes internationales ayant décroché des contrats d’une valeur de plusieurs millions ont décliné toute collaboration, invoquant des inquiétudes sécuritaires dans le pays.

Pour contrer cette situation, de nombreux Haïtiens appellent à résoudre la crise politique, renforcer la sécurité pour combattre les gangs, et prendre des mesures incitatives pour favoriser l’investissement et la stabilité économique.