‘‘Maintien de l’Ordre en Haïti : Défis et enjeux d’un déploiement d’une nouvelle mission appuyée par l’ONU sans plan politique’’- analyse du professeur John D. Ciorciari…

John D. Ciorciari, professeur à la Gerald R. Ford School of Public Policy de l'Université du Michigan et visiteur académique à St. Antony's College, Université d'Oxford...

WASHINGTON, mardi 19 décembre 2023– Analysant la situation et le déploiement bientôt d’une à une nouvelle mission internationale de maintien de l’ordre dirigée par le Kenya en Haïti, le professeur, John D. Ciorciari note que cette mission, bien que soutenue par l’ONU, se heurtera à d’importants défis pour accomplir son mandat visant à faire face à la violence des gangs endémique et à l’insécurité qui règnent en Haïti.

« Même si cette intervention contribue à stabiliser Haïti à court terme, son impact à plus long terme dépendra de l’élaboration d’une feuille de route politique crédible pour le pays », déclare-t-il.

‘‘Haïti, actuellement plongé dans l’une des crises les plus graves de son histoire, a vu son gouvernement s’effondrer depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Le Premier ministre actuel, Ariel Henry, a pris le pouvoir sans élection, et son mandat officiel a pris fin début 2022’’, selon l’analyste.

‘‘Depuis lors, poursuit-il, les élections ont été reportées, la gouvernance se poursuit sans mandat constitutionnel ni élus en place. Dans ce vide démocratique, les gangs se livrent à une violente compétition pour le territoire, les ressources et le pouvoir, ciblant régulièrement la Police nationale haïtienne (PNH) et causant la mort d’environ cent policiers depuis l’assassinat de Moïse en 2021.’’

Selon lui, la PNH, déjà affaiblie, n’a pas réussi à endiguer le fléau des meurtres, incendies criminels et enlèvements, et elle compte actuellement seulement 9 000 agents dans un pays de plus de 11 millions d’habitants.

‘‘Pour mettre fin à cette crise, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la Résolution 2699, confiant à la mission de soutien à la sécurité multinational (MSS) la responsabilité d’aider la PNH à contrer les gangs, rétablir la sécurité et créer les conditions nécessaires à des élections libres et équitables. Il est à noter que le Conseil de sécurité a accordé à la MSS une autorité policière exécutive temporaire en Haïti, incluant les pouvoirs d’arrestation et de détention’’, souligne John D. Ciorciari.

Historiquement, affirme-t-il, ‘‘des missions similaires ont été déployées dans plusieurs États fragiles pour soutenir le maintien de l’ordre. Cependant, souligne le professeur, ces opérations internationales ont souvent buté sur des défis techniques et politiques liés à la collaboration entre forces de police locales et internationales, ainsi que sur la nécessité d’un plan politique à long terme. Pour que la MSS réussisse en Haïti, plusieurs conditions difficiles doivent être remplies.’’

Selon lui, une mission efficace nécessite une force suffisamment grande, compétente et bien financée sur une période prolongée. Malgré l’offre de soutien financier de l’administration Biden jusqu’à 200 millions de dollars, le refus d’envoyer du personnel américain, combiné aux hésitations du Kenya en raison de troubles internes, a mis la mission en suspens.’’

John D. Ciorciari affirme que les rôles et responsabilités du personnel de la MSS doivent être clairement définis pour éviter tout conflit potentiel avec la PNH. Les missions précédentes ont montré que la collaboration entre les forces de police locales et internationales pouvait être difficile, les officiers haïtiens rechignant souvent à partager leur autorité.

Il estime que la MSS doit gagner l’acceptation du public haïtien. Bien que la composition nationale de la MSS, avec des officiers kenyans, puisse initialement susciter un accueil favorable en raison de l’histoire d’exploitation étrangère d’Haïti, la mission devra prouver son efficacité sur le terrain.

Il suggère que  les officiers internationaux utilisent des méthodes de maintien de l’ordre efficaces et appropriées, évitant l’utilisation excessive de la force. Les craintes d’abus des forces kényanes, basées sur des preuves d’abus de la police au Kenya, soulignent l’importance d’un processus de vérification rigoureux des officiers.

Face aux risques d’abus, souligne-t-il, tant en service qu’en dehors, la MSS doit mettre en place des mécanismes de responsabilisation plus forts que ceux des missions précédentes en Haïti. La réputation entachée de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) souligne l’importance d’une réponse efficace en cas de scandale, évitant le simple renvoi des personnes accusées.

Enfin, et peut-être surtout, des initiatives politiques à long terme doivent accompagner la MSS. La relation étroite entre le maintien de l’ordre et la politique en Haïti soulève des préoccupations quant à l’ingérence internationale dans des campagnes anti-gangs, avec des accusations haïtiennes selon lesquelles les forces de l’ONU soutiendraient les forces gouvernementales pour affaiblir les mouvements d’opposition.

Pour réussir, selon Ciorciari, la MSS doit obtenir des fonds suffisants, comprendre ses responsabilités, gagner le soutien du public et assurer sa propre responsabilisation. Si ces conditions sont remplies, la mission pourrait contribuer à réduire la violence et à créer un espace propice au dialogue politique constructif.

Cependant, soutient-il, en plus de la MSS, la communauté internationale doit s’engager sur le long terme pour aider les Haïtiens à élaborer une voie politique vers la démocratie. Sans un plan plus vaste, l’impact de la MSS sera éphémère.

John D. Ciorciari, professeur à la Gerald R. Ford School of Public Policy de l’Université du Michigan et visiteur académique à St. Antony’s College, Université d’Oxford, souligne ainsi les défis cruciaux auxquels la mission sera confrontée et l’importance d’une approche globale pour surmonter la crise haïtienne dans sa complexité.

 

Source : www.gjia.georgetown.edu