Pour une sortie de crise

Me Serge H. Moise

Par Me Serge H. Moïse av.,

Montréal, mardi 12 avril 2022- Lorsqu’on est en situation de faiblesse, il faut savoir se montrer plus intelligent et plus perspicace. C’est ce que nous enseignent la sagesse et le simple bon sens.

Point n’est besoin d’être grand clerc pour se rendre à l’évidence et réaliser que la cacophonie a assez duré dans notre « singulier petit pays » et qu’il est temps de mettre un terme aux palabres interminables qui n’ont fait que nous distraire des véritables problèmes auxquels nous sommes tous confrontés.

La vérité est parfois dure à accepter, mais faire semblant de l’ignorer ne peut qu’aggraver la situation, la faisant passer de mauvaise à pire. Cela rappelle la légende de l’autruche qui enfouit sa tête dans le sable et qui s’imagine que le soleil a disparu.

Tous les rapports provenant des institutions nationales et internationales dressent, année après année, des tableaux de plus en plus sombres de la problématique haïtienne et ce, depuis plusieurs décennies. Si la tendance se maintient comme elle en a l’air, nous risquons d’ici peu, d’atteindre le point de non retour, avec tout ce que cela peut comporter de souffrances, de misères et d’atrocités. Le tout, comble d’ironie, avec notre complicité.

La geste héroïque de mille huit-cent quatre (1804) a fait de nous les premiers à rompre les chaînes de l’esclavage et plus de deux cent quatorze ans après, nous aurons été les premiers, dans toute l’histoire de l’humanité à enclencher, ce qu’il conviendra probablement d’appeler un processus « auto-génocidaire ».

Nous ne sommes pas les seuls à noter et à répéter qu’aucun secteur, aucun parti, groupement ou regroupement politique ne saurait de son propre chef et à lui seul, résoudre en tout ou en partie, les problèmes combien complexes et multidimensionnels de notre chère république.

Force est de constater que depuis l’indépendance nationale, notre histoire a évolué en dent de scie, atteignant constamment les niveaux les plus bas.

Au lendemain du fameux procès de la consolidation, sous la présidence de Pierre Nord Alexis, on se souviendra que presque tous les condamnés ont abouti au palais national à titre de Chef Suprême de l’État. S’agissait-il d’une amnésie collective passagère ou d’un trait culturel en pleine gestation?

On peut en douter puisque depuis, l’impunité érigée en un système si bien rodé a fait de nous le champion toutes catégories de la corruption. Les scandales politiques et/ou financiers se succèdent à une telle cadence qu’ils s’inscrivent à toutes fins pratiques dans la rubrique des faits divers.

Quant aux écarts de langage et autres gaffes de la part des membres du gouvernement, ou de ceux de l’opposition plus tapageuse que menaçante, les colonnes des journaux à potins en sont bien remplies et les marionnettes de la scène politique s’en donnent à cœur joie en discussions oiseuses traitant de tout sauf des véritables problèmes auxquels la nation fait face depuis trop longtemps déjà. À croire que, les choses ayant toujours été ce qu’elles sont, il vaut mieux ne pas les ressasser pour ne pas ennuyer l’auditoire.

À défaut de propositions sérieuses, soyons des vendeurs d’illusions semblent se dire ces leaders de pacotille, le peuple est tellement désespéré qu’il est prêt à s’accrocher à tout ce qui peut ressembler à une bouée de sauvetage.

Entre temps, le pays dégringole à une vitesse vertigineuse vers des profondeurs abyssales. Le bateau coule lentement mais sûrement et les rats ont déjà commencé à l’abandonner. Sans la moindre discrétion et faisant preuve d’une indécence outrancière, certains s’affichent « franco-haïtiens » D’ici peu, ils feront disparaître et le trait d’union et le deuxième segment de ce nom composé. Le silence des uns et des autres semble leur donner raison et puisque l’opportunisme à outrance jusqu’à l’aplaventrisme n’enlève le sommeil à personne, tout le monde s’en accommode en maugréant : « Pitô nou lèd nou là ».

Pourtant, fort de ce constat d’échec, il n’est pas question de baisser les bras. Cette descente aux enfers était probablement nécessaire, c’était peut-être le prix à payer pour notre rédemption. Il nous fallait atteindre le fond de l’abîme pour nous réveiller et regarder enfin vers la lumière.

Les forces prédatrices, tant nationales qu’internationales ont réussi en partie, le pari de détruire l’âme haïtienne. Elles ont annihilé chez nos sœurs et frères, cette capacité de s’indigner et de dire non à l’inacceptable. Nombreux sont ceux qui ont fini par accepter, comme un pis aller, l’idée de se prostituer, d’une manière ou d’une autre, pour pouvoir simplement survivre, atteignant ainsi le stade de la déshumanisation.

La métastase n’a pas encore atteint tous les organes vitaux. Il est encore possible d’assister à un sursaut de dignité humaine, un regain de ce sentiment d’appartenance à la patrie commune ou simplement le réveil de l’instinct de conservation propre à tout animal.

Prenant conscience de la catastrophe imminente et irréversible vers laquelle s’oriente la nation tout entière, il n’est pas impossible de voir nos actuels dirigeants animés qu’ils sont de ce patriotisme digne des grandes femmes et des grands hommes d’État, se résoudre à prendre les dispositions qui s’imposent au nom des intérêts supérieurs de la famille haïtienne.

En effet, le président de la république pourrait, de concert avec son premier ministre et dans un élan de profonde sagesse, reconnaître l’immensité et la complexité de leur mission historique, faire appel aux autres secteurs concernés afin d’éviter la faillite nationale.

Ils inviteront les représentants des divers secteurs d’affaires et socioprofessionnels, ceux de la société civile en général de sorte que dans une « kombite nationale » se dégage un gouvernement de consensus national afin que tous ensemble, ramant dans la même direction, nous puissions ramener la barque à bon port et éviter de justesse le naufrage qui nous guette depuis belle lurette.

Il n’y aura pas de « makoutes ni de chymè encore moins de machins roses et blancs »

Aux problèmes exceptionnels, des solutions exceptionnelles nous enseignent les sciences juridiques. Sortons de ce semblant de légalité de façon à pouvoir construire un véritable État de droit

Ils n’oublieront pas de faire un véritable clin d’œil aux éléments d’élite de la diaspora, pour leur participation effective à la refondation du pays.

Enterrons les haches de guerre, les intérêts personnels et mesquins et tous autres facteurs de désunion mis de côté, faisons le diagnostic de la conjoncture. Le statu quo ne peut plus durer, évitons de justesse ce gouffre qui nous contemple prêt à nous laisser nous y anéantir.

Il va de soi que ce faisant, la constitution est automatiquement mise en veilleuse en attendant son renouvellement.

Et comme l’exemple doit venir d’en haut, il appartient au pouvoir exécutif de donner le coup d’envoi. Les honorables membres du parlement, toujours soucieux du bien commun, accepteront que le sénat soit réduit à un représentant par département. Quant aux honorables députés, ils comprendront que le tiers de leur effectif pourrait suffire à la tâche. À ces messieurs et dames, s’adjoindraient des notables dont le dévouement et l’attachement au pays ne souffrent d’aucun doute, qui compléteraient le conseil des sages afin d’entériner les décisions de l’exécutif.

Ce consensus une fois dégagé entre Haïtiens, il en sera fait rapport à la communauté internationale qui voudra bien accompagner le processus en question.

Un tel gouvernement aurait pour mission sacrée de faire la transition qui aurait dû être réalisée entre (2004 et 2006) et qui ne s’est pas révélée un succès.

Ce gouvernement de consensus national aurait un mandat de deux ans pour assainir l’ensemble des institutions du pays en commençant par permettre au pouvoir judiciaire de se montrer à la hauteur de sa mission, en créant la (CNRJ), Commission Nationale de la Réforme Judiciaire. Assainir l’administration publique de manière scientifique, sans précipitation ni chasse aux sorcières. Renforcer et professionnaliser la PNH afin qu’elle puisse protéger et servir. Créer les conditions pour éradiquer le chômage à travers le (FHS) Fonds Haïtien de Solidarité. Mettre le CEP en mesure de bien structurer ses services en vue de l’organisation d’élections libres, honnêtes et crédibles, sur tout le territoire. Le tout, avec la collaboration franche, pleine et entière de la communauté internationale, et qu’enfin, nous puissions, main dans la main, parachever l’œuvre combien grandiose de nos ancêtres, dans la perspective d’une Haïti fière, souveraine et prospère.