Le décret de l’anti-droit!

Daly Valet, juriste. journaliste sénior et analyste politique

Photo: Daly Valet

 

C’est avec plaisir que la Rédaction du RHInews publie, in extenso, un texte de notre confrère Daly Valet relatif au décret du 11 mars 2020 portant création d’une nouvelle Carte d’Identification Nationale Unique (CINU).

C’est un papier qui vient enrichir, à point nommé, le débat sur le sujet. Merci Daly Valet pour ton aimable autorisation.

 

Par Daly Valet,

1. Nous ne sommes pas en Common Law où les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles.  Là encore, le Palais national n’est pas un tribunal. Il ne saurait constituer une instance d’élaboration du droit à la discrétion d’un président de la République qui se prend à la fois pour un législateur, un tribunal et un juge.

2. Le Salaire Minimum n’est pas un *Revenu Minimum Garanti* comme c’est le cas dans certains pays Scandinaves. Donc, l’État ne saurait se proposer de faire des ponctions arbitrairement sur des revenus qu’il ne garantit pas à sa population de désœuvrés. Là où il n’y a rien, et où il n’a rien donné, le roi ne devrait prétendre à rien.

3. La Constitution haïtienne en vigueur ne fait pas du vote une obligation. Ce droit constitutionnel reste un devoir civique. Le non-exercice d’un tel devoir n’appelle aucune sanction pénale en Haiti. D’autres pays ont fait du devoir de voter une obligation assortie de peines.
Le président haitien ne saurait, de sa propre personne, disposer pour la Constitution et au nom de la République.

Si voter ne constitue point une obligation constitutionnelle, la carte de vote, cet instrument qui permet de réaliser ce devoir civique, ne saurait s’imposer aux citoyens haitiens comme une obligation sujette à des sanctions pénales.

4. Le président Jovenel se trompe de pays quand son décret évoque un certain article 1008 du Code Pénal Haïtien. Comme l’ont amplement souligné d’autres juristes haïtiens, notre Code Pénal en vigueur ne contient pas plus de 413 articles.
Ceux qui nous gouvernent semblent vivre dans une Haiti alternative et fictive qui n’est pas celle des citoyens haïtiens et de notre droit.

5. Si l’État haïtien, plus de 2 siècles après la création d’Haïti en 1804, n’a pas encore fait de l’acte de naissance un document universel obligatoire, d’où vient cet empressement à piétiner, aveuglément et dans la fantaisie, les lois de la République pour imposer une carte d’identité ? L’enfant ne saurait être plus important que ses géniteurs. Une carte qui naîtra d’un acte de naissance ne peut être rendu obligatoire, sous peine de sanctions, quand le document mère ne l’est point. L’absurdité est ici très dérangeante.

6. Nous ne sommes pas dans un État policier. Le président ne peut s’imaginer faire de nos policiers, déjà très mal traités et entretenus, des agents- instruments de l’arbitraire. Nous savons que nos lois interdisent à un policier d’effectuer des fouilles dans le véhicule privé d’un individu sans un mandat et sans la présence d’un juge de paix. Les pratiques actuelles très répandues de fouilles policières s’opèrent en dehors de la légalité.

D’où vient que le président Jovenel s’avise-t-il de vouloir ravir davantage les citoyens de leurs droits ? Selon quelles modalités un policier pourra-t-il contraindre un automobiliste de lui présenter des documents qui ne relèvent pas de son champ de compétence administratif et légal ? Comment ce policier pourra-t-il, en toute légalité et humanité, enregistrer une infraction contre un pauvre affamé sans demeure fixe ni gagne-pain si ce souffre-douleur n’a pas ou n’a pu se procurer la carte “Jovenel” ?

Au regard de ces anomalies et incohérences, les questionnements et suspicions sur les intentions réelles du pouvoir avec sa ‘ Carte Unique” sont des plus légitimes.

Le droit et une République ne sauraient se laisser construire et gouverner par de l’anti-droit primaire.

Daly Valet
Juriste

19 juin 2020