Le Cycle du Désordre

Prof. Jean Rony Monestime Andre

Par Jean Rony Monestime Andre,

New-Jersey, 12 octobre 2020- L’instabilité d’Haïti n’est ni un hasard ni une malédiction. Elle est plutôt le résultat, d’un ensemble d’adversités, fils de pitoyables soumissions à des ordres économiques externes ; de mauvais choix de régimes politiques ; voire de subordinations à des ordonnances politiques importés qui ont tous influé sur le destin du pays. Notamment, ces malheurs sont de l’autre jour, d’aujourd’hui et ils oscillent dans la probabilité de survivre dans le futur.

Les Ordres Économiques Externes

Au premier rang de ces diktats, on a l’esclavage. Cet ordre honteux est à l’origine de tout. Dans la colonie de Saint-Domingue, le noir ne fut pas un citoyen, mais un être utile au labeur des champs et à la servitude généralisée (Césaire,1981). Ce déficit d’humanité, a créé des bandes d’âmes dépouillées de songe et de rêve d’émancipation ; le fils de l’esclave, aux yeux du blanc, est un vaurien qui devra se substituer à ses parents vieillis et mourants. La pérennisation de ce fardeau inhumain engendre la révolte de la nuit du 22 au 23 août 1791 à la Plaine-du-Nord qui, plus tard, obligera Sonthonax, en mission d’apaisement, à octroyer, malgré lui, la liberté générale, le 29 août 1793.

En 1804, ces bandes ont eu leur indépendance au prix de leur sang et ont fondé la première république noire du monde.  Autrement dit, les premiers humains d’Haïti post-coloniale furent des hommes de bandes très méritoires, même si à l’ordre esclavagiste s’ajoutera le néocolonialisme (un autre ordre économique) qui charrie la mondialisation et/ou le néolibéralisme.

Les Mauvais Choix

  • Les Bandes génèrent des Héros et des Bandits

Au lendemain du 1804, parmi les hommes de bandes, certains se convertissent en héros et restent dans l’armée ; la plupart s’adonnent soit à l’agriculture soit à l’élevage et le reste, minoritaire, est une alliance de bandits (majoritairement mulâtres) nostalgiques du système colonial. Les bandits ont assassiné Jacque 1er, le père de l’indépendance, après 1 an 9 mois et 17 jours au pouvoir.

Une fois que l’empereur sera tué, les bandits concevront une ségrégation créole en Haïti. Le mulâtre Pétion roule le noir Christophe dans la farine et campe dans l’ouest ; Christophe s’établit dans le nord (Saint-Rémy, 1941). C’est la scission. À la mort du Roi Christophe, le 8 octobre 1820, les bandits Jean-Pierre Boyer, Maximilien Borgella et consorts séquestrent le pouvoir du nord, imposant la réunification nationale. Ce sont des apatrides qui ont même payé l’indépendance d’Haïti à la France.

  • Les Bandits créent des Médiocres (la doublure)

Beaubrun Ardoin, Boyériste dans l’âme, bandit intellectuel crée la « Politique de Doublure ». Cette stratégie est l’une des plus astucieuses de l’histoire du pays. Beaubrun est sénateur quand il dirige le pays en nommant des présidents bouffons qu’il double incognito. À travers cette politique, les bandits intellectuels, dont les frères Ardouin, créent des incompétents ; à la suite de la chute de Rivière Hérard, le pays a connu 4 présidents de doublure (Guerrier-Pierrot-Riché-Soulouque), tous propulsés par Beaubrun et son frère Céligny Ardouin : deux bandits boyéristes.

  • Les Médiocres engendrent les Putschs

Le règne de la médiocratie, installé par les doubleurs Beaubrun Ardouin et compagnons, génère des putschistes ; les 35 turbulences politiques qu’a connues le pays sont le résultat de l’ère des médiocres martiaux. Ces derniers ignorent l’importance de l’alternance de pouvoir dans la douceur. Ils ont donné des coups d’état soit pour satisfaire leurs piteux egos soit pour plaire à l’homme blanc. C’est le cas de Raoul Cédras qui vit son exil infernal au panama, après le coup d’état sanglant du 30 septembre 1991 contre Jean-Bertrand Aristide, un président élu démocratiquement.

  • Les Putschistes conçoivent les Faux-Révolutionnaires

Exécuter sommairement, commettre de crimes crapuleux, enfreindre la liberté d’expression et piller le trésor public sont les variables qui s’associent aux putschs en Haïti. Pas un seul coup d’état sans un de ces mobiles. Et pour cause, des figures contestataires émergent toujours. Parmi ces révoltés, le plus souvent, le pays voit naître des populistes, voire des faux-révolutionnaires. Par exemple, les putschs ininterrompus des militaires après le départ de Baby-Doc, en 1986, font émerger Jean-Betrand Aristide en 1990 ; le coup d’état du 30 septembre voit retourner Aristide et nous donne Rene Préval. Le putsch du 2004 nous redonne le faux-révolutionnaire Préval en 2006.

Les Subordinations

  • Les Faux-Révolutionnaires créent le Populisme de droite
  • Le populisme de gauche, né des actions des militaires putschistes, lègue aussi sa progéniture politique. L’incapacité de ces émergés de la pensée socialiste à offrir ce qu’ils ont promis du package révolutionnaire crée bien des frustrations dans l’opinion publique. L’école gratuite, la production nationale, l’égalité de genre, le droit au logement et à la santé deviennent de simples palabres. Le camp d’en face, traditionnellement anti-peuple, tente sa chance. Ainsi, au soir du mandat du faux-socialiste René Préval, les USA et le secteur mercantile imposent le populiste de droite, Michel Martelly, un ignorant et un antisocial.

Le Retour des Bandits

L’arrivée au pouvoir du régime de droite (de Martelly et de Jovenel Moise) nous renvoie à la genèse du cycle du désordre : le banditisme d’état. Certes, des régimes antérieurs, Duvaliérisme et Lavalas, ont eu des hommes de frappe, mais ni les macoutes ni les chimères n’ont été aussi permis que les Bandits Légaux. Aujourd’hui, Ardouin Zéphyrin est la réincarnation du général Étienne Gérin, Jimmy Chérisier du G9-en-Fanmi est l’équivalent du soldat Garat, deux hommes de main du bandit Alexandre Pétion.

La politique haïtienne est un cycle infernal qui ne cesse de passer en revue ses incidents associatifs. Au commencement, il y eu le désordre, à la fin il y aura le trouble. Ce petit pays, friand de médiocres, amoureux de criminels, est le sanctuaire d’une instabilité chronique. Des 2016 ans d’indépendance, on a eu 25 ans d’apatridie de Boyer ; 29 ans de démence duvaliérienne ; 20 ans d’incertitude Lavalassienne, 10 ans de grivoiserie et de rapacité Tèt Kale.

Le pays est de nos jours prêt pour le redémarrage du vélocipède politique. Les vieilles habitudes vont reparaitre. Haïti post-PHTK sera, peut-être, celle d’un autre faux-révolutionnaire qui fera renaitre le banditisme d’état. C’est qu’on n’a jamais pu sortir de ce tournage :

Les Bandes(ante-1804)>Héros/bandits (1804-1843)>les bouffons/médiocres (1844—1865) les apatrides/les putschistes (1865-1990 >les faux révolutionnaires/populistes (1990-2004) gauche/droite (2006-à nos jours)>les bandits.

 Prof. Jean-Rony Monestime André

Adjunct Professor, Seton Hall University & Bloomfield College, NJ

BA-en Conn. Générales ; BS en Médecine Nucléaire

CRA-Clinical Research Associate; MHA-Master’s in Healthcare Administration

PhD-Doctorant en Science de la santé

Email : jean-rony.andre@shu.edu

Références

Césaire, A. (1981). Toussaint Louverture : la Révolution Française et le problème colonial.

Editions Présence Africaine. Paris, France

Dorsainvil, J. (1942) Histoire d’Haïti. Port-Au-Prince. Haïti

St- Rémy, J. (1864). Pétion et Haïti, pages 182-183-184