“La privation de liberté avant procès”, tel est le thème de la thèse de doctorat soutenue récemment par l’avocat Guerby Blaise, docteur en droit pénal…

Me, Guerby Blaise, avocat,...

Résumé de thèse par Dr. Guerby Blaise,

PARIS, dimanche 15 mai 2022– Nos travaux de recherche portent sur « La privation de liberté avant procès. Regard porté sur le droit haïtien à la lumière du droit français ». Le sujet a été choisi en raison des liens historiques et culturels entre la France et la République d’Haïti, ce qui rapproche la législation pénale haïtienne de la philosophie de la politique criminelle française en matière de mesures privatives de liberté avant jugement.

  1. Il est démontré dans les développements que la procédure pénale haïtienne est la transposition de l’empire procédure pénale française. C’est dire que la privation de liberté avant procès dans le droit haïtien se traduit par l’imitation systématique de la procédure pénale française. La ressemblance procédurale entre ces deux systèmes juridiques repose sur la conception de l’équilibre judiciaire dans le cadre de la recherche de la manifestation de la vérité dans la phase préparatoire du procès pénal. Dans ce cadre, l’autorité judiciaire doit concilier les droits des parties dans les procédures d’enquête et de l’information.
  2. Cependant, il est révélé que la politique criminelle haïtienne souffre de sources doctrinales et jurisprudentielles. Cette pauvreté scientifique s’explique par l’inaction des juristes dans la production des réflexions et ouvrages juridiques. En ce sens, la doctrine et la jurisprudence pénale françaises servent généralement de sources dans les argumentaires juridiques des juristes et décisions judiciaires.
  3. Le manque d’évolution de la justice pénale haïtienne résulte en grande partie de l’inexistence de laboratoires de recherches dans le système juridique haïtien et l’absence de politique de service public de la justice dans la chaîne pénale. C’est d’ailleurs pourquoi il est constaté que les pouvoirs publics n’instaurent pas des bases de données scientifiques afin de faciliter l’accès aux statistiques liés aux gardes à vue et autres mesures privatives de liberté adoptées au stade de l’information judiciaire.

Face à ce constat, il apparaît que l’évolution du droit français peut constituer des apports considérables à la modernisation de la législation criminelle haïtienne. L’inverse est tout aussi vrai, puisqu’en dépit de son archaïsme, le droit haïtien présente des avantages non négligeables par rapport au droit français.

  1. Les analyses montrent que la législation criminelle haïtienne comporte des lacunes importantes en matière d’équilibre des droits des parties, c’est-à-dire entre le magistrat du ministère public et la personne mise en cause, dans le cadre de l’application des mesures privatives de liberté avant jugement.

Ces inégalités se constatent dans la stigmatisation du principe de la présomption d’innocence au bénéfice de la personne privée de liberté et le caractère ineffectif du contrôle institutionnel des mesures privatives de liberté avant jugement. À cet égard, le droit français peut constituer un éclairage à la modernisation de la politique criminelle haïtienne. Dans cette perspective, le législateur haïtien peut s’inspirer de la politique criminelle française pour instaurer le rééquilibrage des droits des parties au sens des principes de l’égalité des armes et du contradictoire dans les procédures pénales.

  1. Le droit haïtien semble mieux garantir les droits de la défense par la consécration constitutionnelle du droit obligatoire à l’assistance d’avocat lors des interrogatoires des personnes privées de liberté dans les procédures d’enquête et de l’information judiciaire, contrairement au législateur français qui permet à la personne mise en cause de se défendre seule au sens de l’article 6 de que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Alors que la rigidité de la répression instituée par le législateur haïtien dans la phase préparatoire du procès pénal conforte mieux les justiciables haïtiens sur la question de l’effectivité de la justice pénale, les citoyens français se plaignent davantage du laxisme de la politique criminelle en matière de justice pénale.

  1. Il découle de ce panorama général que notre étude consiste à présenter le décalage entre les pratiques judiciaires haïtiennes en matière de privation de liberté avant procès et la consécration formelle de celle-ci dans la procédure pénale française.

En effet, l’avant-procès pénal se caractérise par la présomption d’innocence dans le cadre de l’application des mesures privatives de liberté́. À cet égard, la personne mise en cause doit être en principe exemptée de la privation de liberté́ en raison de son statut de « présumé́ innocent » au sens du droit à la liberté́. Cependant, il est admis dans la procédure pénale contemporaine des mesures privatives de liberté́ avant jugement afin de rechercher la manifestation de la vérité́, sauvegarder la paix sociale et sécuriser le procès pénal.

  1. Cette dérogation au principe de la liberté́ exprime la nécessité de la privation de liberté́ dans la phase de l’avant-projet pénal. Dans ce cadre, la procédure pénale moderne repose sur l’équilibre entre le droit à la liberté́ et la protection de l’intérêt général. C’est ainsi que les législations criminelles française et haïtienne instaurent des mesures privatives de liberté́ avant jugement dans le but de relativiser le droit à la liberté́ dans les procédures d’enquête et de l’information.
  2. La relativité du droit à la liberté explique le poids des mesures privatives de liberté avant jugement dans la phase préparatoire du procès pénal. L’équilibre institué entre le principe de la liberté et la privation de liberté avant procès traduit le sens des mesures privatives de liberté avant jugement dans les procédures pénales française et haïtienne. C’est ainsi que la privation de liberté avant procès occupe une place prépondérante dans les procédures pénales française et haïtienne par rapport au droit à la liberté.
  3. La mise en œuvre de ces mesures privatives est cependant subordonnée à des conditions préalables. Ainsi, la gravité de l’infraction et le passé criminel de la personne mise en cause  jouent un rôle déterminant. Dans le même sens, les législations criminelles haïtienne et française instituent des garanties judiciaires au bénéfice de la personne suspectée ou poursuivie  dans le cadre de la privation de liberté en termes de contrepoids ou de limites de l’accusation.
  4. Ces contrepoids sont institués dans le but d’épargner des détentions arbitraires à la personne mise en cause dans les procédures d’enquête et de l’information, et constituent la protection de la présomption d’innocence dans la phase de l’avant-procès pénal. Dans ce cadre, les personnes privées de liberté disposent à ce stade d’un ensemble de droits dont la violation peut être sanctionnée par sa mise en liberté au sens du principe des droits de la défense. À ce propos, il existe un décalage important entre la procédure pénale française et celle haïtienne, en ce sens que l’effectivité des droits des personnes privées de liberté dans la phase de l’avant- procès pénal n’est pas formellement garantie dans la procédure pénale haïtienne.
  5. Contrairement au droit français, le droit haïtien n’instaure pas formellement un droit de nullité en cas de  violation des garanties judiciaires dont bénéficie la personne privée de liberté dans la phase  préparatoire du procès pénal. Toutefois, il est permis aux personnes privées de liberté d’exercer un contrôle institutionnel sur les mesures privatives de liberté avant jugement dans les deux procédures pénales étudiées.
  6. Ce contrôle institutionnel s’exerce par le contrôle judiciaire et celui juridictionnel sur la privation de liberté décidée au stade de l’enquête et dans la phase de l’instruction. À ce titre, la personne suspectée ou poursuivie peut soumettre les mesures privatives de liberté à l’examen d’une autorité publique autre que celle qui a décidé la mesure.

Il peut s’agir d’un contrôle exercé sur la mesure de garde à vue tant au stade de l’enquête que dans la phase de l’instruction. De même, le contrôle s’étend sur les mesures privatives de liberté décidées par l’autorité judiciaire dans la phase de l’information.

  1. Ce droit au recours institutionnel offre à la personne mise en cause de contourner la privation de liberté au stade préparatoire du procès pénal. Pour cette raison, le non-respect de ce droit au recours peut emporter la mise en liberté de l’intéressé au sens du respect des principes droits de la défense et de la présomption d’innocence.
  2. La consécration du contrôle institutionnel s’avère insuffisante dans les procédures pénales française et haïtienne du fait qu’il existe un déséquilibre des droits entre la personne mise en cause et le ministère public. Or, les procédures pénales reposent sur l’égalité des armes entre les parties.

Cette inégalité des droits s’explique par l’écart entre la reconnaissance des droits reconnus aux personnes privées de liberté dans cette phase et la jouissance réelle de ces droits. Ainsi, les procédures pénales française et haïtienne consacrent la prédominance du ministère public dans les procédures de contrôle exercé sur les mesures privatives de liberté dans les procédures d’enquête et de l’instruction. À cet égard, les droits du gardé à vue et de la personne détenue  dans la phase de l’information sont mis au placard au profit du ministère public.

  1. Ce travail de recherche s’inscrit dans cet équilibre judiciaire en matière de privation de liberté́ avant jugement. En effet, cette étude tend à exposer la nécessité́ ́ de la privation de liberté́́ avant procès et la corrélation entre la sauvegarde de l’ordre public et la liberté́ ́ individuelle dans le cadre de la recherche de la manifestation de la vérité́. Pour cela, les politiques ́ criminelles française et haïtienne instituent des contrepoids aux mesures privatives de liberté́́ avant jugement (des mesures de milieu fermé ou ouvert) afin de permettre à la personne mise en cause de contrebalancer l’accusation. Ainsi, les personnes privées de liberté́ ́ doivent bénéficier des garanties judiciaires en vue de contester l’accusation, c’est-à-dire les charges retenues contre elles, dans les procédures d’enquête et de l’information, par la voie de contrôle institutionnel afin d’éviter des détentions excessives, arbitraires et illégales. C’est ainsi que notre étude analyse l’équilibre des droits entre les parties, c’est-à- dire entre le magistrat du ministère public et la personne mise en cause, dans la phase de l’avant-projet pénal au sein des politiques criminelles française et haïtienne.
  2. S’il est vrai que ce rééquilibrage paraît moins complexe dans la procédure pénale française, celui-ci nécessite une réforme en profondeur de la procédure pénale haïtienne en raison de l’absence de régulation de la pratique de la garde à vue et de la non-consécration formelle des principes de l’égalité des armes et du contradictoire entre les parties dans les procédures d’enquête et de l’information. Pour ce faire, le législateur haïtien doit instituer formellement les principes de la présomption d’innocence et des droits de la défense au bénéfice des personnes privées de liberté dans la phase de l’avant-procès pénal. Il est donc souhaitable que cette urgence procédurale préoccupe les pouvoirs publics haïtiens, notamment le législateur dès l’avènement du prochain Parlement.