Faut-il un juge unique ou un collège de juges pour instruire le dossier de l’assassinat de Jovenel Moïse ?

Me Guerby Blaise, Avocat, Doctorant en droit

Le débat est lancé. Faut-il un juge unique ou un collège de juges pour enquêter sur l’assassinat de l’ancien président Jovenel Moïse ? Déjà, certaines difficultés se dressent. Trouver un juge qui accepte de traiter ce dossier, c’est déjà compliqué. Plusieurs juges pour instruire l’affaire, c’est probablement un vrai dilemme. Plus d’un mois après l’assassinat du président défunt, un seul juge avait accepté d’instruire le dossier. Cependant, il a été contesté et a dû se déporter immédiatement et retourner le dossier au doyen pour les suites de droit.  Apparemment méfiants, des proches et partisans de l’ancien président réclament une enquête et un tribunal international pour faire le jour sur l’assassinat du défunt… (NDLR)

La Rédaction de RHINEWS vous propose une réflexion de Me Guerby Blaise en ce sens,

 Paris, samedi 21 aouut 2021– 1. Sensibles à la notion de collégialité de l’instruction », certains magistrats judiciaires, dont Kébreau Zamor, Ikenson Édumé et Lucien Georges, évoquent de plus en plus la nécessité de confier l’affaire Jovenel Moïse à un collège de juges instructeurs afin de garantir l’efficacité de l’information (instruction).

  1. Ma publication relative à l’affaire Bataclan du 13 novembre 2015 à Paris ranime le débat, en ce que l’excellent magistrat Kébreau Zamor tente de justifier la légitimité du « collège des juges d’instruction » dans l’affaire Moïse par l’adage « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé ».

À cet égard, le magistrat interprète la question de légalité à laquelle l’information judiciaire serait confrontée eu égard aux articles 4 du Code pénal et 44 du Code d’instruction criminelle et suivants que j’ai évoqués.

  1. À l’appui de ses arguments, le magistrat évoque l’alinéa 3 de l’article 65 du décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire, en tant que la lecture a contrario de cet article pourrait s’étendre à toute décision qui viserait l’efficacité de la phase préparatoire du procès pénal, voire celle du procès pénal.
  2. Honnêtement, sa thèse paraît audacieuse et fouillée.

Cependant, il convient de rappeler que l’application de l’adage selon lequel « tout ce qui n’est pas interdit est permis » se limite strictement au droit public en raison du principe de « l’application stricte de la matière pénale ».

  1. L’extension de cet adage s’avère impossible d’autant que la condamnation pénale repose sur la légalité des preuves obtenues par les acteurs judiciaires, ce qui traduit la compétence légale et expresse de l’autorité qui adopte une mesure judiciaire.
  2. C’est à juste titre que l’article 65, alinéa 3, susmentionné doit être compris comme de simples procédés qui entrent dans le champ de l’amélioration administrative des juridictions ( tribunal et cours), d’autant que ce texte prévoit le contrôle administratif de l’exécutif ( ministre de la justice).
  3. Je me permets de rendre publique notre contradiction afin d’inciter les pouvoirs publics ( le ministre de la justice et le Parlement) à faire évoluer le droit haïtien. Car la collégialité de l’instruction contrevient à l’interprétation extensive du principe de légalité criminelle ( article 4 du CP), et un tel risque emportera la nullité de l’ensemble de l’information dans l’affaire Jovenel Moïse par le juge pénal ( lors du procès) au regard du principe de « juge d’instruction unique » dans la procédure de l’information haïtienne ( articles 44 et suivants : toutes les dispositions évoquent le « juge d’instruction »).
  4. D’ailleurs, la complexité juridique relevée dans l’assassinat de Jovenel Moïse devrait conduire immédiatement le ministre de la justice et le/ou des sénateur(s)-juriste(s) en fonction à réfléchir sur l’élaboration d’une loi en la matière (collégialité de l’instruction).

Il devrait en être de même pour la procédure de garde à vue et les réglementations de la procédure d’enquête à la suite du « désordre judiciaire » commis par le commissaire du gouvernement dans l’affaire Moïse.

  1. Même si le prochain Code de procédure pénale, emprunté au droit français, édicte ces notions, il est du non-sens de les codifier sans l’élaboration d’une loi.

À ce jour, il est regrettable que le ministre de la justice et le/ou des sénateur(s)-juriste(s) ne souffle(nt) pas mot à ce sujet.

  1. Heureusement, l’arrêt de Cass. ass. plén., 6 mars 2015, no 14-84339 ( pour les étudiants de Licence) correspond aux contradictions entre magistrat Zamor et moi, et apporte un éclairage à l’inapplication de l’adage « tout ce qui n’est pas interdit est permis » dans la matière pénale.
  2. Il s’agit en substance de l’application du droit de ne pas contribuer à sa propre accusation (droit au silence) et la déloyauté de la preuve à la suite de la sonorisation des celles de garde à vue en l’absence d’une disposition légale.
  3. De fait, le raisonnement relatif à l’application du droit au silence évoqué dans cet arrêt s’aligne sur ma position contre le droit au silence évoqué par l’éminent avocat Me Samuel Madistin en faveur de Pierre Reginald Boulos à la suite de la convocation du DG de l’ULCC (1er à 3ème « attendu que » dans l’arrêt).
  4. Bien que le refus de présentation de l’intéressé devant ce DG ait été justifié, j’avais évoqué l’inapplication du prince du droit de se taire évoqué par notre aîné-confrère en raison de l’absence d’audition réelle de son client (ce dernier n’était pas à l’audition à l’ULCC).