Désillusion des sanctions internationales contre les Oligarques et les politiciens corrompus

Jean-Garry Denis, directeur executif de l'INHOPP...

 

Par Jean Garry Denis,

CAP-HAÏTIEN, dimanche 23 avril 2023- Parler de sanctions internationales contre l’élite économique et les politiciens corrompus en Haiti implique de realiser une radiographie pour comprendre les racines de ce groupe économique. On remonte à l’ascension de François Duvalier en 1957 qui a hérité d’une période économique relativement prospère de 10 ans des pouvoirs Estime et Magloire, connue sous le nom de miracle économique haïtien.

Selon Webert Lahens : « C’était l’époque où Haïti etait une perle de la Caraïbe… La construction d’hôtels et d’infrastructures a permis au pays d’être à la tête de l’industrie touristique dans la Caraïbe, avec Cuba en deuxième position ». Avec sa politique de sang et de répression pour se maintenir au pouvoir a tout prix, François Duvalier a mis fin à cette période de progrès en brisant la production nationale et les tentatives d’établissement d’une bourgeoisie créole.

Cette bourgeoisie créole avait un certain lien avec la réalité nationale, des liens familiaux, sociaux et culturels forts avec le pays, contrairement à l’élite actuelle, en grande partie d’origine levantine (moyen-orient), qui se soucie peu pour les intérêts supérieurs de la nation.

Ce groupe n’avait jamais caché ses prétentions à jouer un rôle important dans la politique du pays. L’un des plus farouches opposants de Duvalier aux élections de 1957 , était le sénateur Louis Dejoie, digne représentant de cette bourgeoisie qui avait de nombreux investissements dans le pays, notamment dans la production agricole.

La présence de cette élite économique créole était une menace pour les ambitions totalitaires de Duvalier, qui exilait et décapitalisait les membres de cette bourgeoisie. Elle a remplacé cette tentative de renforcement d’une bourgeoisie nationale par ses cercles d’amis et d’immigrants d’origine levantine, leur accordant privilèges et monopoles.

Malheureusement, les bénéficiaires levantins de la manne duvaliériste se considèrent jusqu’à présent comme de simples passagers sur cette terre malgré une présence de plus d’un siècle.

En fait, ils ne pouvaient pas faire d’investissements productifs à long terme. D’ou cet esprit prédateur de l’élite économique actuelle décrite comme la plus repugnante qui nous a conduit à la situation actuelle de chaos de concert avec des politiciens corrompus.

Cette élite économique ne s’identifie jamais aux valeurs patriotiques, au développement économique et au patrimoine culturel du pays.

Elle est incapable de mener des activités productives à long terme et de s’insérer dans un projet de type capitaliste dans un environnement concurrentiel. C’est la principale raison pour laquelle qu’elle cherche toujours à s’associer avec des politiciens corrompus pour affaiblir l’État et entrer dans une économie criminelle avec tous les corollaires d’enlèvements, de contrebande et de pillage des ressources publiques.

Enthousiasme initial
La société haïtienne a accueilli avec enthousiasme les annonces de sanctions de l’ONU et celles prises par les gouvernements du Canada et des États-Unis contre l’oligarchie économique et les politiciens corrompus.

Etant donné le contrôle absolu des institutions républicaines par cette alliance mafieuse du secteur des affaires et des politiciens corrompus, ces sanctions, bien que sans précisions, étaient considérées comme une alternative aux faiblesses et à la quasi-inexistence de la justice locale pour faire face à la mise en place de cette économie criminelle qui se traduit a l’heure actuelle en soutien aux bandits armés, trafic de drogue, trafic d’organes, pillage des ressources publiques, entre autres.

« Dèyè Mòn Gen Mòn » est un dicton haïtien qui se traduit littéralement par « après une montagne, il y a une montagne ». Pour le peuple haïtien, cela signifie que dans la situation actuelle, il existe un pouvoir supérieur au niveau international qui sera en mesure d’arrêter l’omnipotence des élites corrompues qui entravent le progrès économique et social d’Haïti.

Durant ces dernières semaines, l’espoir de l’opinion publique sur ces sanctions pour purger la scène politique et le monde des affaires des criminels en col blanc partent comme des cigarettes en fumée.

Le pouvoir actuel désigné par la même communauté internationale à travers le Core Group n’a pris aucune mesure pour donner suite à ces sanctions devant les tribunaux compétents, et a également utilise les mêmes scenarios qui nous ont conduits à la situation de chaos actuelle.

Maintenant, ils veulent forcer des élections comme en 2011 où les oligarques et les politiciens corrompus seront à nouveau les maitres du jeu. Il suffit d’analyser le soutien des diplomates du Core Group à l’accord improductif du 21 décembre sur la crise et l’influence des différents groupes de l’oligarchie qui ont influencé et parafé cet accord.

Sanctions sélectives en République Dominicaine

De nombreux observateurs considèrent ces sanctions comme étant de nature partisane. Le Président Abinader a choisir de punir certains corrompus et fermer les yeux sur d’autres selon l’agenda international.

C’est dans ce cadre qu’il faut analyser les sanctions adoptées par la République dominicaine qui est, après les États-Unis, la deuxième destination des richesses issues de l’économie criminelle en Haïti et du détournement des ressources publiques de l’État haïtien.

Dans une reflexion s sur Listín Diario du lundi 10 avril 2023, nous avons souligné la timidité du gouvernement du président Abinader concernant les sanctions pour les liens traditionnels et parfois familiaux entre les secteurs privés des deux côtés de l’île.

En effet, les sanctions imposées par la République dominicaine contre les politiciens et hommes d’affaires haïtiens renforcent encore nos inquiétudes quant à leurs utilités pour le peuple haïtien.

Les sanctions dominicaines renforcent l’idée d’opinion publique haïtienne que chaque pays essaie de les utiliser en fonction de leurs intérêts particuliers.

Les observateurs se demandent pourquoi sanctionnent-ils le responsable de l’une des plus importantes organisations de défense de droits humains, Pierre Espérance, et écartent de la liste plusieurs personnalités déjà sanctionnées par le Canada et les États-Unis, notamment le puissant homme d’affaires Gilbert Bigio et les anciens présidents Michel Martelly et Jocelerme Privert. .

L’opinion publique haitienne souhaiterait beaucoup plus de détails sur les sanctions contre Pierre Espérance et font ressortir les liens entre les conseillers et hommes d’affaires puissants proches du président Abinader et l’omission de la liste dominicaine des personnalités sanctionnées par le Canada et les États-Unis.

Martelly et Petrocaribe

L’ancien sénateur Antonio Cheramy, l’un de ceux sanctionnés par la République dominicaine, a déclaré : « Abinader n’aurait pas sanctionné les barons du parti de Michel Martelly qui ont détourné des fonds du programme Petro Caribe, dont la majeure partie serait investie en République dominicaine ».

Les sanctions du Canada et des États-Unis se déroulent dans un environnement de désordre institutionnel total. Ces pays renforcent cet environnement avec le Core Group par leur soutien sans faille au gouvernement actuel.

D’autre part, la République dominicaine, le pays qui a le plus d’intérêts stratégiques pour soutenir la stabilité politique en Haïti, donne l’impression de privilégier d’autres intérêts que la persécution des vrais criminels en col blanc.

Dans ce cadre, les sanctions internationales déchaînent une vague de désillusion dans presque tous les secteurs et des mesures plus concrètes sont nécessaires pour qu’Haïti puisse vraiment en profiter.