Une survivante du massacre de Tulsa, âgée de 109 ans, discute l’héritage de l’esclavage lors d’une visite à l’ONU…

UN Photo/Eskinder Debebe Viola Ford Fletcher a visité l'Arche du retour avec son petit-fils Ike Howard (3e à gauche), avec qui elle a coécrit l'histoire de sa vie dans le livre "Don't Let Them Bury My Story" (Ne les laissez pas enterrer mon histoire)

NEW-YORK, samedi 2 septembre 2023- Viola Fletcher n’avait que sept ans lorsqu’elle a été déplacée de force de sa ville natale de Tulsa, dans l’Etat de l’Oklahoma, aux Etats-Unis, par une foule armée qui a détruit le quartier majoritairement noir de Greenwood, tuant des centaines de résidents.

Accompagnée de son petit-fils, Ike Howard, Mme Fletcher, âgée de 109 ans, est venue récemment au Siège des Nations Unies pour commémorer la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition, instituée par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Devant le monument de l’Arche du Retour, Mme Fletcher et M. Howard ont discuté avec ONU Info de l’héritage de l’esclavage et de la possibilité d’accorder des réparations à ceux qui ont des liens ancestraux avec cet horrible commerce. Le quartier de Greenwood à Tulsa était familièrement appelé Black Wall Street en raison de la richesse et des opportunités qu’il offrait.

Dans les années 1920, la ségrégation en Oklahoma limitait fortement le statut socio-économique des résidents noirs, faisant de Greenwood un quartier unique où ils pouvaient s’épanouir et réussir.

On y trouvait des épiceries, des magasins de meubles et un cinéma appartenant à des Noirs, une rareté exceptionnelle pour les communautés noires de l’époque.

Le 30 mai 1921, cependant, le quartier a été plongé dans ce qui allait devenir l’un des pires incidents de violence raciale de l’histoire des États-Unis.

Un jeune homme noir a été accusé d’avoir agressé une adolescente blanche, puis arrêté avant que la nouvelle de son crime présumé ne soit publiée dans les journaux à sensation de la ville. À ce jour, on ne connaît pas l’ampleur réelle du contact physique entre les deux individus.

Ces accusations ont provoqué le rassemblement d’une foule d’hommes blancs armés devant le palais de justice où M. Rowland était détenu. Pour protéger M. Rowland du lynchage, un groupe d’hommes noirs armés a commencé à se rassembler dans la même zone.

Selon les informations recueillies, la foule blanche est devenue furieuse, et les commentaires racistes et les jurons ont rapidement dégénéré en échanges de coups de feu. Le conflit qui s’ensuit engloutit rapidement tout le quartier de Greenwood. Des hommes blancs tirent sans discrimination sur les résidents noirs qui fuient la violence et brûlent plus de 35 pâtés de maisons du quartier, entraînant le déplacement de plus de 10.000 résidents noirs. Le nombre de morts n’a jamais été confirmé, bien que certaines estimations fassent état de 300 morts.

Mme Fletcher faisait partie des personnes déplacées. Dans ses mémoires, Don’t Let Them Bury My Story : The Oldest Living Survivor of the Tulsa Race Massacre in Her Own Words, Mme Fletcher se souvient d’avoir vu des familles fuir désespérément le carnage, et nombre d’entre elles se faire abattre au passage.

« Mes yeux brûlaient et larmoyaient à cause de la fumée et des cendres, mais je pouvais encore tout voir si clairement. Les gens couraient en s’accrochant à leurs proches vers la voie ferrée ou tout autre chemin permettant de quitter la ville qui n’était pas envahi par des hommes blancs armés », écrit-elle.

« Certains y sont parvenus. Beaucoup n’y sont pas parvenus. Nous sommes passés devant des piles de cadavres entassés dans les rues. Certains d’entre eux avaient les yeux ouverts, comme s’ils étaient encore en vie, mais ils ne l’étaient pas ». Il y a une semaine, 102 ans plus tard, Mme Fletcher et son petit-fils ont organisé une cérémonie devant l’Arche du Retour au siège de l’ONU. Le mémorial a été construit par l’artiste haïtiano-américain Rodney Leon pour l’ONU en 2015. Selon M. Leon, le mémorial est destiné à être un « lieu spirituel de rassemblement » pour toutes les victimes internationales de la traite atlantique des esclaves.

La cérémonie devait coïncider avec la Journée internationale et rappeler pourquoi l’héritage de l’esclavage doit continuer à être mis en lumière. La possibilité d’accorder des réparations aux personnes dont l’ascendance est liée à la traite négrière a également été évoquée.

« Se réconcilier signifie également réparer. Nous avons besoin de réparations, un point c’est tout. Il est temps de corriger la situation, partout dans le monde. Nous avons besoin de réparations dans le monde entier », a déclaré M. Howard.

« Certains pays et certaines villes des États-Unis prennent des mesures pour intégrer les réparations. S’il y a une volonté, il y a un moyen. Nous pouvons y arriver », a-t-il ajouté. Selon son petit-fils, Mme Fletcher s’est réjouie des progrès réalisés au cours de sa vie.

Ayant vécu l’ère Jim Crow après la reconstruction, le mouvement des droits civiques et, plus récemment, le mouvement Black Lives Matter, elle a observé de première main l’évolution des attitudes à l’égard de l’héritage de la traite des esclaves.

« Elle se sent bien dans le mouvement qui se poursuit à travers le pays. Les dominos commencent à tomber. C’est une bénédiction de voir un rayon de soleil, un rayon d’espoir dans ces situations », a déclaré M. Howard, s’exprimant au nom de sa grand-mère, qui a maintenant du mal à parler de manière audible.

« Cette énergie est étonnante parce que ces mêmes esclaves font partie de l’histoire du pire massacre raciste de l’histoire des États-Unis, appelé le massacre raciste de Tulsa », a-t-il poursuivi. Lors d’un discours prononcé à l’occasion de la Journée internationale de commémoration des victimes de l’esclavage et de la traite transatlantique des esclaves en mars, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a reconnu l’héritage de la traite transatlantique des esclaves et l’a qualifiée d’« entreprise diabolique ».

« Des millions d’enfants, de femmes et d’hommes africains ont été victimes de la traite transatlantique, arrachés à leur famille et à leur patrie – leurs communautés ont été déchirées, leur corps a été transformé en marchandise, leur humanité a été niée. L’histoire de l’esclavage est une histoire de souffrance et de barbarie qui montre l’humanité dans ce qu’elle a de pire », a déclaré M. Guterres.

« L’héritage de la traite transatlantique des esclaves nous hante encore aujourd’hui. Nous pouvons tracer une ligne droite entre les siècles d’exploitation coloniale et les inégalités sociales et économiques d’aujourd’hui », a-t-il ajouté.

Officiellement, les Nations Unies ont adopté une position qui encourage les États membres à créer des cadres de réparation pour les familles touchées par l’héritage de la traite transatlantique des esclaves.

« Nous devons inverser les conséquences de générations d’exploitation, d’exclusion et de discrimination, y compris leurs dimensions sociales et économiques évidentes, grâce à des cadres de justice réparatrice », a dit le chef de l’ONU.