‘‘Les gangs criminels se sont multipliés en Haïti notamment en 2018’’, selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU…

Wilson Joseph Lanmo San Jou'', chef de gang 400 Mawozo, Vitelhomme Innocent, chef de Kraze Barye, Johnson Andre ''Izo, chef de gang 5 Seconde de Village de Dieu et Jimmy Cherizier ''Barbecue'', chef de la federation des gangs du G-9 an Fanmi e Alye''....

PORT-AU-PRINCE, jeudi 19 octobre 2023– Le rapport du groupe d’experts des Nations-Unies indique que depuis la présidence de François Duvalier et en particulier depuis celle de Michel Martelly, les gangs sont utilisés pour perturber les processus politiques, intimider l’opposition et la population en général et s’assurer des votes et des profits économiques.

Selon le rapport, ‘‘Ces gangs se sont multipliés encore plus à partir de 2018 (voir annexe 3), instrumentalisés par l’élite politique et économique ainsi que par de hauts fonctionnaires pour réprimer la mobilisation populaire (par exemple, à la suite d’affaires controversées, comme le scandale Petrocaribe), commettre des massacres (par exemple, La Saline)22 ou paralyser les activités sociales et économiques (peyi lok, ou « pays verrouillé », voir par. 72).’’

Le document souligne que les gangs unissent de plus en plus leurs forces dans le cadre d’alliances multiples pour exercer un contrôle sur de vastes portions de territoire.

‘‘On estime qu’il y a environ 200 gangs opérant actuellement en Haïti, mais comme le précise le Groupe d’experts, un regroupement d’individus ne constitue pas forcément un gang. Il est difficile de donner des chiffres précis, notamment parce qu’il est difficile de distinguer réellement un gang d’une base (baz)  qui intervient en légitime défense ou qui commet de petites infractions’’, peut-on lire dans le rapport.

Dans le contexte d’Haïti, poursuit le rapport, ‘‘un gang est un groupe d’individus organisés (c’est-à-dire avec une chaîne de commandement et des fonctions stratégiques – voir annexe 6) qui utilisent la violence armée au moyen d’armes à feu sophistiquées pour contrôler et influencer des quartiers, et commettre des infractions, telles que le trafic d’armes à feu ou de drogues, l’extorsion, l’enlèvement, le meurtre, la violence sexuelle et le détournement de camions.’’

Le document précise qu’environ 23 grands gangs opèrent dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (département de l’Ouest), regroupés autour de deux coalitions principales. Le « G9 en famille et alliés », dirigé par Barbecue et le G-Pèp, dirigé par Gabriel Jean-Pierre (alias « Ti Gabriel »).

Parallèlement, écrivent les experts, plusieurs autres gangs indépendants concluent des alliances opportunistes, tant entre eux qu’avec le G9 ou le G-Pèp.

Selon le rapport, ‘‘l’ensemble de la zone métropolitaine de Port-au-Prince est concerné par l’activité des gangs, à divers degrés. Dans leurs bastions, les gangs exercent un contrôle direct et une autorité exclusive (zones de contrôle). Ils menacent et rançonnent les membres de leur propre communauté, rackettent les commerces, créent des cellules sous le commandement de chefs de zone et installent des murs de protection, appelés « VAR ». Les gangs exercent également une influence sur les zones autour de leurs bastions (zones d’influence). Bien que contrôlées de manière plus indirecte, ces zones ne sont accessibles qu’aux membres’’, soutient le document.

Le rapport du groupe d’experts indique que, de connivence avec Jimmy Chérizier et d’autres membres de gangs, trois anciens responsables gouvernementaux, dont un ancien maire de Port-au-Prince, un ancien directeur général du Ministère de l’Intérieur et un ancien coordinateur de l’unité de sécurité présidentielle, ont participé au massacre de La Saline, qui s’est déroulé du 13 au 19 novembre 2018. Deux d’entre eux ont également fait l’objet de sanctions par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers du Département du Trésor des États-Unis pour leur participation au massacre de La Saline.

Selon le rapport, ‘‘les zones sous contrôle direct et sous influence représentent environ 80 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Les autres (20 %) subissent les incursions des gangs (enlèvements, vols, meurtres et autres infractions).’’

Le document des experts de l’ONU souligne également que le département de l’Artibonite, qui joue un rôle majeur dans la production alimentaire du pays, est la deuxième zone touchée par la violence des gangs. Celle-ci découle essentiellement de conflits fonciers et politiques, précise le rapport, ajoutant que le gang le plus actif, Gran Grif (également connu sous le nom de Savien), a élargi de manière exponentielle sa zone de contrôle et d’influence depuis 2022.

Le document affirme que pour résister à Gran Grif, ‘‘les habitants de la localité de Jean Denis ont créé la Coalition des révolutionnaires pour sauver l’Artibonite (connue sous le nom de coalition Jean Denis), considérée comme un gang plutôt que comme un groupe d’autodéfense. Le gang Kokorat San Ras, qui opère dans le département, est également très brutal, malgré ses effectifs limités.’’

Le rapport indique également que « même si leurs taux de criminalité sont relativement plus faibles, les autres départements ne sont pas épargnés par l’influence des gangs. Certains gangs basés à Port-au-Prince disposent de cellules opérationnelles stratégiques, qui peuvent être activées à des fins criminelles. »

Les experts soulignent dans leur rapport que des groupes criminels ont également été signalés dans d’autres régions du pays, notamment aux Cayes, à Miragoâne, à Petite Rivière-des-Nippes, à Petit-Goâve, au Cap-Haïtien, à Marigot et à Port-de-Paix.

Jeu des alliances entre gangs

Selon le document des experts de l’ONU, ‘‘plus d’une semaine après le début de « Bwa Kale », le 3 mai 2023, Izo, le chef de 5 Segond, a publié une vidéo lançant le mouvement « Zam Pale », en représailles contre la population. Ti Lapli et Vitelhomme ont également critiqué Bwa Kale sur les médias sociaux, le décrivant comme un mouvement soutenu par la police, qui s’en prend à des personnes présumées innocentes. D’autres alliés du G-Pèp ont repris l’appel d’Izo, encourageant les membres à prendre les armes pour lancer des représailles.’’

« Il y a bien eu représailles, mais le mouvement Zam Pale n’a pas atteint l’ampleur promise par le G-Pèp. Bwa Kale a clairement eu un impact négatif sur la capacité opérationnelle de la coalition. Par ailleurs, le mouvement a freiné le recrutement de nouveaux membres, les lynchages ayant un effet dissuasif   , de même que les opérations de police dans le quartier de Village de Dieu, le fief de 5 Segond », souligne le rapport .

Le document fait remarquer que la police n’a pas véritablement les moyens de lutter contre les activités des gangs dans cette zone contrôlée. Les gangs contrôlent les routes grâce à des pièges dissimulés et sont non seulement lourdement armés et bien entraînés, mais également rompus au maniement des armes et des techniques de combat et savent opérer stratégiquement dans les quartiers. Ils comptent dans leurs rangs d’anciens policiers et militaires ainsi que des personnes déportées des États-Unis.

« Face à l’étau de la police qui se resserre sur son fief, Izo utilise la voie maritime pour donner un appui aux cellules de son gang dans le nord   (ainsi qu’au gang Canaan), qu’il utilise comme base stratégique pour ses opérations, procédant à des enlèvements dans les régions de Delmas, Bon Repos et Lilavois, détournant des camions ou volant des marchandises », indiquent les experts de l’ONU.

Le rapport ajoute qu’il se livre également à la piraterie (voir annexe 17). Entre le 18 avril et le 23 juin 2023, le gang ‘‘5 Segond’’ aurait mené quatre attaques, qui lui auraient permis d’enlever plus de 30 personnes . D’après plusieurs sources, Izo se livrerait également au trafic de drogue.

‘‘Renel Destina (alias « Ti Lapli »), chef du gang Grand Ravine et un allié clef d’Izo, continue à faire des enlèvements dans sa propre zone  et à détourner des camions et des véhicules passant dans la région de Martissant, contre rançons’’, lit-on dans le rapport.

Par ailleurs, précise le document, ‘‘Grand Ravine tente par tous les moyens de prendre le contrôle de la zone Carrefour-Feuilles, soumettant les habitants à de nombreuses exactions (meurtres, vols, viols, pillages et incendies des habitations) et s’en prenant continuellement aux policiers. Deux policiers ont été tués les 4 et 14 août 2023. Le 14 août, Grand Ravine a attaqué la sous-station électrique de la région, la mettant hors service. Au 15 août, environ 1 020 ménages, soit 4 972 personnes, avaient fui Carrefour-Feuilles et Savane Pistache.’’

Profitant de ce que l’attention de la police était détournée par Village de Dieu après Bwa Kale, Vitelhomme Innocent, le chef de Kraze Barye, a intensifié ses attaques contre les habitants des communes de Pétion-Ville, Kenscoff, Tabarre, Croix-des-Bouquets et Delmas.

« Bien que faisant face à la résistance des nombreux groupes d’autodéfense locaux, il continue à s’en prendre à la police et à la population, notamment par le vol de terres et de biens, les meurtres, les pillages, les vols et l’enlèvement de personnes influentes. Beaucoup ont fui la zone. Kraze Barye, comptant de plus en plus de combattants et d’armes semi-automatiques, est devenu l’un des gangs les plus puissants de la région métropolitaine de Port-au-Prince », selon le rapport.

D’après le document, l’un des plus grands gangs d’Haïti, 400 Mawozo, dirigé par Joseph Wilson (alias « Lanmo San Jou »), a perdu une partie de son territoire et de ses effectifs, principalement à la suite d’affrontements avec Kraze Barye, Chyen Mechan et CASEC Belizaire, et des opérations de police .

« N’étant plus en mesure de maintenir son nombre record d’enlèvements, autrefois très élevé, 400 Mawozo n’a pas réussi à prendre le contrôle de la région de Thomazeau, auparavant dirigée par Ti-Makak. Le gang se concentre désormais davantage sur les pillages, les vols et l’extorsion ainsi que sur le détournement de camions de marchandises et la contrebande le long de la frontière terrestre », ajoute le rapport.

Les experts indiquent que dans le département de l’Artibonite, ‘‘les gangs Gran Grif, dirigé par Luckson Elan, et Kokorat San Ras, dirigé par Meyer, commettent des actes d’une extrême violence, contraignant les populations à abandonner de vastes zones de cultures, ce qui menace la production agricole.’’

Ils ajoutent que les deux gangs auraient des liens avec les gangs du G-Pèp. Ils opèrent de la même façon que ceux dans la région métropolitaine de Port-au-Prince (enlèvements, vols et détournements de biens et de camions).

‘‘Ils font des incursions dans d’autres communes pour tuer, voler et nuire à la population. Les victimes d’enlèvement sont systématiquement torturées et extrêmement maltraitées voire soumises à des viols collectifs ou tuées lorsque la rançon n’est pas payée. Les deux gangs reçoivent non seulement l’aide de 5 Segond pour les armes, mais aussi de politiciens, qui entretiennent des relations étroites avec les gangs de l’Artibonite, comme Raboteau.’’

Le rapport souligne qu’en janvier 2023, depuis l’attaque de Gran Grif contre le commissariat de Liancourt, au cours de laquelle six agents ont été tués, les services de police sont désorganisés dans le département, ce qui pousse les civils à s’allier à la coalition Jean Denis contre Gran Grif. Les affrontements entre ces deux groupes ont été marqués par des atrocités, précise le document.