« La réforme agraire entamée dans l’Artibonite sous l’administration Préval n’était pas bien pensée et a abouti à un échec certain », Samuel Madistin…

Samuel Madistin, Avocat,

PORT-AU-PRINCE, mercredi 18 octobre 2023– Intervenant dans le cadre d’une conférence-débat organisée par l’association des étudiants haitiens de l’Université de Laval ((AEHUL) autour du thème : « La Réforme agraire en Haïti : L’expérience de René Garcia Préval dans la vallée de l’Artibonite : Bilan et Perspectives », Me Samuel Madistin a mis en exergue les limites et les résultats de cette réforme.

D’entrée de jeu, M. Madistin a fait remarquer que le président René Garcia Préval est le dernier président haïtien à avoir tenté une expérience de réforme agraire en Haïti.

Revisitant l’histoire, Madistin a déclaré : « La question agraire en Haïti est marquée par une lutte constante entre deux projets : La grande propriété et l’agriculture familiale, le jardin. Cette lutte entre deux projets de société remonte à l’assassinat de Moise avant l’indépendance. »

‘‘Après l’indépendances les deux projets se sont de nouveau opposés’’, a-t-il souligné, ajoutant que l’empereur Jacques 1er s’est opposé aux partisans de la grande propriété, c’est ce qui lui avait poussé à décréter la vérification des titres de propriété et son cri du cœur resté célèbre : « Et les pauvres noirs dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils donc rien ? »

Selon lui, ‘‘c’est donc la tension entourant l’opposition entre ces deux projets qui ont conduit au drame du pont rouge, le 17 octobre 1806 où Dessalines fut assassiné.’’

La reforme agraire de Préval  

Dans son exposé, il a rappelé qu’au moment du lancement de la réforme agraire en 1996, les paysans de l’Artibonite faisaient face à quatre grands problèmes majeurs.

Il a notamment mis l’accent sur le système d’irrigation vieillissant qui ne comblait plus les attente de la population.

Ce système d’irrigation de l’Artibonite remontait à la fin des années 40 pour les études avec le président Dumarsais Estimé et exécuté au début des années 50 avec le président Paul Eugene Magloire. Initialement, a-t-il souligné, le projet était prévu pour irriguer 42 000 hectares de terre, mais seulement 28 000 hectares ont été irrigués avec la fin de la première phase du projet.

Me Madistin a fait état des conflits terriens sanglants marquaient, de manière périodique, l’exploitation des terres et les récoltes. ‘‘Les conflits étaient souvent liés aux changements de gouvernement, de ministres de la justice ou de commissaires du gouvernement à Saint-Marc ou aux Gonaïves aux fins d’assurer l’impunité à ceux qui tuent ou pillent les récoltes des paysans ou persécutés à travers la justice d’autres groupes de paysans’ a-t-il ajouté.

Il a également parlé du système de métayage et du fermage fonctionnaient à plein rendement au niveau du département de l’Artibonite posant de surcroit le problème de la tenure des terres.

Il a mentionné le problème lié au coût des intrants pour améliorer le rendement de l’exploitation, combattre les maladies et les nuisibles, qui était exorbitant et hors de portée des paysans pauvres.

Cette réforme agraire conçue en trois phases, n’a vu que deux se matérialiser, selon ce qu’a fait remarquer Me Madistin.

La première phase était constituée de quatre périmètres : (Deseaux 1 et 2), Trois Bornes, l’Estere et Bocozelle représentant un total de 805 hectares dont 1610 planteurs ont bénéficié.

‘‘Treize périmètres ont constitué la seconde phase : Gazange, Pierre Paul, Danger, Séjour, Largon, Lachicotte, Molette Gerard, Pinson, Potenot, Latapie, Timonette, Les Pèches, Boussac, Hatte Chevreaux représentant un total de 1853 hectares au profit 3 706 planteurs bénéficiaires’’, a indiqué Madistin.

Il a fait remarquer que lLa troisième phase prévue qui n’est jamais réalisée devait comprendre cinq périmètres complémentaires : Rossignol, Dauphine, Lachicotte 2, Matiza, Hatte Jou et Douvanjou .

Il a souligné que chaque bénéficiaire reçoit une parcelle d’un demi-hectare et un titre qui définit les conditions, droits et devoirs d’usage de la terre par le paysan. Si ces conditions sont respectées, le paysan pourra travailler la terre jusqu’à la fin de ses jours.

Résultats de cette réforme agraire

Selon Samuel Madistin, ‘‘le plus grand succès reconnu à la réforme agraire de Préval c’est le fait d’avoir permis de mettre un terme aux conflits et aux violences dans la vallée.  Le sang a cessé de couler dans l’Artibonite pendant la reforme de Préval.’’

Il a ajouté que ‘‘658 hectares de terre cultivables étaient touchés par la reforme et 5316 familles ont pu bénéficier directement de la réforme.’’

L’ex-parlementaire de l’Artibonite a noté que des travaux de curage mécanique à l’excavatrice ont été réalisés sur 49 km linéaires et des curages manuels sur 44 km linéaires curés.

Il a également ajoute que le du coût de l’engrais a connu une baisse au bénéfice des paysans.

Limites de la réforme agraire

Cependant, M. Madistin a fait état d’un ensemble de limites que présentait la reforme agraire conduite par René Préval.

Selon lui, ‘‘la réforme de Préval dans la vallée de l’Artibonite est marquée par des actes de dépossession dirigés, des actes de corruption impliquant des membres des structures territoriales mises en place (comité de suivi et comités d’appui), des cas de sextorsion, du favoritisme.’’

Il a ajouté que ‘‘la réforme n’a pas permis de reprendre tous les systèmes d’irrigation et de drainage qui pouvaient permettre de remettre en valeur les 28 000 hectares de terre, encore moins achever le projet initial d’arriver à 42000 hectares de terre irriguée dans l’Artibonite.’’

Il a affirmé que la réforme n’a pas aidé à résoudre des problèmes tels : la sécurisation économique des parcelles reformées ; la gestion de l’eau ; le mauvais état général des canaux d’irrigation primaires par manque d’entretien de qualité ou de travaux concédés à des entreprises privées incompétentes choisies par clientélisme sans appel d’offre; l’absence de loi-cadre de la réforme agraire pour inscrire dans la durée les décisions prises ; les problèmes de compétence et d’attributions des communes en matière de décentralisation en général et dans la mise en œuvre des réformes entreprises par l’INARA en particulier ; la réforme de l’ODVA pour en faire un véritable organisme de développement régional et non un simple outil d’encadrement technique pour les paysans comme c’est le cas actuellement entre autres.

Il a déploré que le gouvernement de Jean Bertrand Aristide qui a succédé au Gouvernement de René Préval bien qu’appartenant à la même famille politique n’ait pas continué avec le processus de réforme.

« Pire, revenant au pouvoir pour un second mandat Préval a lui-même abandonné sa réforme. C’est la preuve que la réforme n’était pas bien pensée et a abouti à un échec certain, a déclaré Madistin.

Toutefois, il a souligné que l’expérience de René Préval peut quand même se révéler utile pour tout gouvernement désireux de s’attaquer à ce mal endémique que représente la question agraire en Haïti.

Selon lui, « le défi historique que représente la question agraire en Haïti, les enjeux politiques, sociaux et économiques inhérents à la mise œuvre de toute réforme agraire, la violence et l’insécurité qui accompagnent toujours la question de la tenure des terres en Haïti, l’immixtion aujourd’hui des gangs armés dans les conflits terriens démontrent que seul un État fort, démocratique et populaire peut s’attaquer avec de réelles chances de succès à la question de la réforme agraire en Haïti. »