-AU-PRINCE, vendredi 13 juin 2025 (RHINEWS) –L’insécurité alimentaire atteint des sommets historiques en Haïti alors que le pays s’enfonce chaque jour davantage dans un gouffre humanitaire creusé par la violence armée, la paralysie de l’État et l’effondrement de l’économie locale. Dans un contexte marqué par le contrôle grandissant de territoires entiers par des groupes armés comme Gran Grif et Viv Ansanm, les routes sont coupées, les convois humanitaires bloqués, et des millions de personnes sont aujourd’hui confrontées à la faim.
Les données les plus récentes de l’analyse IPC (Integrated Food Security Phase Classification) révèlent qu’environ 5,7 millions d’Haïtiens – soit près de la moitié de la population – vivent actuellement en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Plus de 2 millions sont classés en phase 4 (urgence), tandis que 8 400 personnes déplacées dans des camps de fortune sont déjà en phase 5 (catastrophe), le stade le plus extrême, synonyme de famine et de risque élevé de décès.
Cette crise de la faim est aggravée par le déplacement forcé massif des populations. Selon les estimations du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et de l’OIM, plus de 1,3 million de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile à cause des violences armées, des massacres de civils, des incendies de quartiers entiers et des menaces directes de groupes terroristes. Ces déplacés internes, souvent entassés dans des sites précaires et surpeuplés, vivent sans accès régulier à l’eau, à l’alimentation, aux soins de santé ou à l’éducation. Leurs conditions de vie, déjà inhumaines, les exposent à une insécurité alimentaire aiguë, à des épidémies, et à toutes sortes de violences, notamment sexuelles.
Dans cette catastrophe sans précédent, les activités criminelles des groupes terroristes représentent un facteur déclencheur et aggravant majeur. Viv Ansanm, coalition armée ultra-violente active dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, et Gran Grif, qui contrôle une grande partie du Bas-Artibonite, imposent des blocus systématiques sur les principaux axes routiers du pays, notamment la RN1, la RN2, la RN3 et la RN8. Ces barrages illégaux paralysent l’acheminement des denrées agricoles depuis les plaines fertiles du Nord et du Sud, en passant par les grandes artères commerciales reliant les ports, les marchés et les zones de stockage.
Dans certaines localités comme Verrettes, Liancourt, Pont-Sondé ou Martissant, les gangs ont imposé des « péages » clandestins où les transporteurs sont rançonnés, voire exécutés. Les convois du Programme alimentaire mondial (PAM), de la Croix-Rouge et de plusieurs ONG nationales ont été attaqués, pillés ou incendiés. Des marchés populaires comme Croix-des-Bossales, Pont-Morin et Mirebalais tournent désormais au ralenti, voire ont fermé, sous la menace des bandes armées.
L’État haïtien, dans sa configuration actuelle, est quasi absent de ces zones de tension. L’autorité publique est érodée, les commissariats désertés, les tribunaux à l’arrêt. La Police nationale d’Haïti (PNH), débordée, mal équipée et infiltrée à certains niveaux, ne contrôle plus qu’une fraction du territoire. Des composantes du gouvernement de transition, y compris des membres du CNDDR, sont accusées par des organisations de la société civile d’avoir entretenu des liens opaques avec certains groupes armés. L’impunité est devenue la règle.
Dans les milieux agricoles, la crise sécuritaire a un effet dévastateur. De nombreux paysans ne peuvent plus se rendre à leurs champs par crainte d’enlèvements ou de violences. Les circuits d’irrigation sont à l’abandon. Les récoltes pourrissent sur pied, faute de pouvoir être transportées. La production locale s’effondre, accentuant la dépendance aux importations – elles-mêmes ralenties par les blocages portuaires et la flambée du dollar.
Le prix du riz, de l’huile, des haricots, de l’eau potable et même du charbon a augmenté de plus de 60 % en un an. Des familles entières se contentent d’un seul repas par jour. Dans les campements de déplacés, notamment à Tabarre Issa, Delmas 75, Carrefour-Feuilles, Petite-Rivière de l’Artibonite ou encore dans des écoles transformées en abris à Ouanaminthe et Jacmel, les témoignages font état d’enfants souffrant de malnutrition aiguë, de femmes enceintes sans assistance, de maladies liées à l’eau insalubre.
La communauté internationale, bien qu’alertée à de nombreuses reprises, peine à organiser une réponse à la mesure de la crise. Les agences onusiennes se heurtent à des restrictions d’accès, à l’insécurité et à la faible coordination logistique sur le terrain. Le PAM et l’UNICEF ont lancé plusieurs appels à financement d’urgence qui restent sous-financés à hauteur de 70 %. Les ONG locales, en première ligne, dénoncent l’abandon de zones entières, qualifiées de « territoires fantômes ».
Des diplomates de plusieurs pays membres du Conseil de sécurité plaident pour la création urgente de corridors humanitaires protégés et d’une force multinationale de sécurisation, comme l’exigeait déjà la résolution 2699 adoptée en 2023. Mais sur le terrain, les délais, les blocages diplomatiques et le scepticisme grandissant sur l’efficacité de telles missions laissent planer une inquiétude croissante.
À ce rythme, préviennent les experts humanitaires, Haïti court un risque de famine généralisée, où la faim deviendra non plus un effet secondaire de la crise sécuritaire, mais une arme systémique de domination utilisée par des groupes terroristes pour asseoir leur pouvoir, soumettre les populations et affaiblir encore davantage ce qui reste de l’autorité publique.
Alors que le pays s’enfonce dans l’inconnu, une chose est certaine : la faim, en Haïti, est désormais un symptôme direct de l’anarchie. Et tant que la terreur règnera sur les routes et les marchés, aucune aide, aucune politique agricole, aucune solution durable ne pourra émerger.