Projet de réforme constitutionnelle en Haïti : Vers une nouvelle architecture des collectivités territoriales…

PORT-AU-PRINCE, samedi 24 mai 2025 (RHINEWS)– L’avant-projet de Constitution actuellement soumis au débat public bouleverse profondément la configuration institutionnelle des collectivités territoriales en Haïti. En recentrant l’organisation administrative sur la commune et le département, ce texte ambitionne de redéfinir les mécanismes de gouvernance locale tout en affirmant une volonté de décentralisation accrue. À travers une comparaison avec la Constitution de 1987, il devient possible de mesurer l’ampleur des ruptures, les gains démocratiques potentiels, mais aussi les incertitudes et les tensions que ces propositions suscitent.

Le projet de Constitution limite désormais les collectivités territoriales à deux niveaux : la commune et le département (article 65). Toutes les sections communales sont automatiquement élevées au rang de communes (article 65-1), ce qui marque la disparition de leur statut spécifique. La Constitution de 1987, à l’article 61, reconnaissait pourtant les sections communales comme premières entités territoriales, disposant d’un Conseil d’Administration (CASEC) et d’une Assemblée (ASEC) élues.

Ce changement est présenté comme une rationalisation administrative. Mais il soulève des questions sur la faisabilité d’un tel élargissement : comment de petites communautés rurales, souvent dépourvues de ressources humaines et techniques, pourront-elles fonctionner comme de véritables communes ? Le projet fait ici le pari d’une uniformisation administrative qui risque de se heurter à la diversité réelle du territoire.

L’article 66 confère à la commune la personnalité morale, avec une autonomie administrative et financière. Le maire, élu au suffrage universel pour cinq ans (article 66-2), est rééligible sans limitation. Il est assisté d’une Assemblée Municipale (articles 66-3 et 66-4) dont le président représente la commune à l’échelle départementale.

Ce renforcement des structures locales constitue une avancée par rapport à la Constitution de 1987, qui mentionnait les conseils municipaux sans en formaliser autant les pouvoirs ni l’articulation avec des institutions de contrôle local. L’article 66-9 précise que le maire administre les ressources communales « au profit exclusif de la municipalité » et qu’il rend compte tant à l’Assemblée Municipale qu’au gouverneur départemental. Ce double mécanisme de redevabilité est présenté comme une garantie contre la corruption et la mauvaise gestion.

Cependant, cette autonomie n’est pas absolue. L’article 66-11 précise que le gouverneur départemental peut attaquer en justice les décisions administratives communales, notamment lorsqu’elles touchent à la propriété foncière ou aux libertés publiques. Il ne s’agit donc pas d’une suppression de la tutelle, mais d’un glissement vers un contrôle juridictionnel, sans que les garde-fous ne soient encore clairement balisés.

La disparition, dans l’avant-projet, des organes traditionnels de gouvernance de proximité – les CASEC, ASEC et le Conseil de la section communale – constitue une rupture brutale avec l’esprit participatif qui animait la Constitution de 1987. En érigeant les sections communales au rang de communes sans préserver leurs structures de représentation propres, le texte élimine de fait les seules institutions par lesquelles la paysannerie haïtienne participait concrètement à la vie politique locale et, par extension, à l’organisation de l’État.

Dans l’article 63 de la Constitution de 1987, les CASEC et ASEC étaient explicitement reconnus comme instruments de la décentralisation et garants de la démocratie à l’échelle la plus locale. Leur suppression ne peut dès lors être interprétée comme une avancée administrative, mais bien comme une régression politique majeure, réduisant le champ de la citoyenneté active des communautés rurales.

Ce choix recentralise paradoxalement la gestion locale entre les mains d’un maire élu et d’une assemblée réduite, dont la composition ne garantit ni la représentation des intérêts agricoles ni celle des zones enclavées. En privant les zones rurales de leurs organes propres, l’avant-projet favorise la domination des pôles urbains dans la gouvernance territoriale, aggravant ainsi les inégalités historiques entre villes et campagnes.

Les articles 66-13 à 66-15 introduisent la possibilité de regrouper plusieurs communes en communautés de communes ou communautés urbaines, pour assurer la gestion commune de certains services publics. Cette innovation est absente de la Constitution de 1987, et elle s’inspire de modèles étrangers (notamment français), où les regroupements municipaux ont permis de mutualiser les ressources et les compétences.

Cependant, aucun cadre juridique précis n’est encore défini pour leur mise en œuvre. Sans loi organique claire, ces structures risquent de rester théoriques. Il est également à craindre que leur pilotage par un « Conseil des maires » favorise les plus puissantes des communes au détriment des autres.

L’article 67 maintient l’arrondissement comme subdivision administrative, mais il ne conserve plus aucun rôle politique ou électif. Il devient un simple cadre d’intervention de l’Administration Centrale et Départementale. Cette marginalisation est cohérente avec la simplification territoriale voulue par le projet, mais elle retire à l’arrondissement tout levier de gouvernance autonome. Ce niveau intermédiaire, déjà faible dans la pratique, disparaît donc comme échelon démocratique.

Le texte souligne à l’article 66-8 que « l’État a pour obligation d’établir au niveau de chaque commune les structures propres à la formation sociale, économique, civique et culturelle de sa population. » Cette disposition va dans le sens d’une responsabilisation citoyenne et d’une autonomie éducative locale. Toutefois, sans précision sur les financements ou sur l’organisme chargé de veiller à cette mise en œuvre, il s’agit plus d’une déclaration d’intention que d’un engagement contraignant.

L’avant-projet constitutionnel de 2025 opère un tournant majeur dans la conception de la gouvernance territoriale haïtienne. Il clarifie certaines responsabilités, renforce l’autonomie communale, et introduit des structures de coopération entre collectivités. Mais cette modernisation institutionnelle se fait au prix d’un abandon inquiétant des formes historiques de participation paysanne. En supprimant les CASEC et ASEC, le texte prive les campagnes de leurs organes démocratiques, et risque de marginaliser davantage les populations rurales dans les choix publics.

La réforme repose sur un pari : celui d’un État local plus efficace, administré de manière professionnelle. Mais sans équité territoriale ni inclusion citoyenne garantie, ce pari pourrait se traduire par une centralisation locale masquée, contraire aux objectifs mêmes de la décentralisation. Il revient désormais au peuple haïtien, à travers ses débats et ses mobilisations, de décider si cette nouvelle architecture respecte encore l’esprit de 1987 ou s’en écarte définitivement.