PORT-AU-PRINCE, 11 juin 2025 (RHINEWS) —
Dans une déclaration incisive transmise à la rédaction de RHINEWS, Me Sonet Saint-Louis, constitutionnaliste et philosophe, s’élève vigoureusement contre le processus d’élaboration de l’avant-projet de Constitution en cours en Haïti. Il dénonce une entreprise marquée par l’« ostracisme intellectuel » et pilotée par un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) illégal, illégitime et contrôlé par des intérêts étrangers, au mépris des règles fondamentales de la démocratie et de la souveraineté nationale.
« Il est temps de dire ‘ça suffit’ à ces messieurs et dames qui, depuis 38 ans, ont patiemment construit le chaos haïtien », affirme d’emblée Sonet Saint-Louis. À ses yeux, faire de ce texte une nouvelle Loi fondamentale « ne présente d’autre vertu que celle d’organiser une république d’abolotchos ». L’avant-projet, selon lui, repose sur une absence totale de base légale et légitime, et ouvre la voie à un régime autoritaire. « Dès lors, il n’existerait plus aucun verrou pour empêcher les dirigeants de modifier la Constitution à leur gré », avertit-il.
Le professeur souligne que la rigidité de la Constitution de 1987 avait précisément pour fonction de protéger la nation contre « les manœuvres intempestives de gouvernants aux tentations totalitaires ». En ce sens, il appelle « les gens de bien et de valeur » à sortir de leur silence face à ce qu’il qualifie de « précédent extraordinairement dangereux pour l’histoire constitutionnelle du pays ».
Il s’attaque frontalement à la légitimité du CPT, qu’il décrit comme « extrémiste, illégal et illégitime, conçu par la communauté internationale — dont il n’est, en réalité, que le pion dans le jeu politique actuel ». Il rappelle que ce conseil a été imposé par l’administration Biden et que, dès sa formation, il avait averti qu’une telle coalition « ne pouvait réunir le consensus nécessaire pour conduire le pays vers des élections libres et transparentes ».
Sonet Saint-Louis affirme que les acteurs au cœur du CPT sont les mêmes qui ont, ces treize derniers mois, vidé l’État de toute finalité publique. « Ce sont ces mêmes parties que l’on retrouve aujourd’hui au sein du CPT, du gouvernement, à la tête des directions générales des ministères, ainsi que dans la diplomatie », écrit-il. Il dénonce un partage de l’État comme d’un bien privé, une « capture totale de l’État », où « secteur privé, société civile et secteur public gouvernent désormais ensemble contre le citoyen ».
Il cite avec approbation un éditorial du Nouvelliste affirmant que « la solidarité dans le mal est assez remarquable », et déplore le silence complice des membres du CPT, malgré les « quelques indiscrétions » concernant des dossiers de corruption. Pour lui, il ne reste rien d’un État de droit. « C’est une gouvernance chaotique, celle d’un État privatisé. Le citoyen est anéanti », tranche-t-il.
Si la classe politique haïtienne est clairement mise en accusation, Sonet Saint-Louis tient également la communauté internationale pour co-responsable de la dérive actuelle. « Cette attitude persistante de l’Occident, consistant à imposer à Haïti des régimes autoritaires, a largement contribué à conduire le pays vers le point critique où nous nous trouvons aujourd’hui », déclare-t-il. Il fustige la logique des puissances étrangères qui, selon lui, préfèrent en Haïti des dirigeants faibles mais dociles à un leadership souverain et institutionnellement légitime.
Le professeur souligne que ceux qui soutiennent le CPT savent pertinemment à quoi s’en tenir : « Ils le font par pur calcul, pour défendre leurs intérêts égoïstes, tirant pleinement profit du désordre généralisé ». Il accuse directement les « petits agents locaux » des puissances étrangères de pratiquer un « ostracisme intellectuel » en écartant délibérément les compétences académiques nationales.
« L’étranger, ainsi que ses petits agents locaux, doivent savoir que l’on ne peut pas changer la Constitution d’un pays de cette manière », martèle-t-il. Il dénonce une « démagogie dangereuse » et un projet politique « conçu dans les coulisses de la politique traditionnelle », dont le seul but est d’installer « un régime totalitaire en Haïti ».
Saint-Louis appelle à un examen public et rigoureux de la composition du comité de pilotage de l’avant-projet constitutionnel. Il interroge : « Qui sont ces messieurs et dames ? Quelle est leur compétence en matière constitutionnelle ? Qui les a choisis ? Combien ont-ils été payés ? ». Il rappelle que « Jovenel Moïse avait dépensé quarante millions de dollars pour une réforme constitutionnelle qui n’a jamais abouti » et s’interroge sur le sort de cet argent.
À travers une série de questions rhétoriques, il remet en cause la légitimité intellectuelle et professionnelle des personnes impliquées : « Quelle est, dans le passé, leur contribution réelle à la réflexion en matière de droit constitutionnel ? Qu’ont-elles écrit et publié ? ». Il accuse le CPT et le gouvernement dirigé par Alix Fils-Aimé de vouloir « instaurer un ostracisme intellectuel dans le milieu académique, comme ils l’ont fait dans le champ politique ».
À ses yeux, le seul cadre acceptable aurait été un groupe d’experts consultatifs indépendants, réunis pour formuler des recommandations sans pouvoir constituant. Il juge que le processus actuel est une opération de pillage organisée, encouragée par une communauté internationale qui n’a « jamais eu de solution pour Haïti, pas plus sous Ariel Henry qu’aujourd’hui ».
Dans la dernière partie de sa déclaration, Sonet Saint-Louis évoque la solution. Il appelle à « remettre le pouvoir aux institutions », comme cela s’est fait lors de la transition portée par Mme Ertha Pascal-Trouillot. Il réaffirme que « Haïti n’a pas de problème de Constitution », mais souffre de l’emprise d’« une élite haïtienne sauvage, rétrograde, corrompue ».
« L’ostracisme intellectuel qui imprègne cette démarche doit être fermement dénoncé », insiste-t-il. Il en appelle à la mobilisation du monde académique, à la rigueur scientifique et à la conviction patriotique. « Chacun doit avoir une cause à promouvoir et à défendre. La mienne, c’est Haïti — et sur ce point, il n’existe pour moi aucune ambiguïté », conclut-il.