Polémiques en République Dominicaine — Une journaliste dominicaine propose que son pays gère les fonds destinés à Haïti : levée de boucliers contre une déclaration jugée raciste et paternaliste…

SAINT-DOMINGUE, mardi 17 juin 2025 – RHINEWS- Lors de la conférence de presse hebdomadaire du président dominicain Luis Abinader, une déclaration de la journaliste Soila Paniagua, du journal Hoy, a provoqué un tollé : elle a suggéré que les fonds alloués à Haïti par la Banque interaméricaine de développement (BID) soient confiés directement à la République dominicaine pour « les investir elle-même sur le territoire haïtien », arguant que les Haïtiens « n’ont ni hôpitaux, ni écoles, ni rien du tout ». Cette intervention, teintée d’un paternalisme néocolonial, suscite de vives critiques pour son racisme sous-jacent et son esprit d’ingérence.

« Cela démontre qu’il faut une supervision, quelqu’un pour contrôler l’utilisation des fonds », a déclaré Paniagua. « Au final, ce sont les Dominicains qui subissent les conséquences », a-t-elle poursuivi, estimant que la République dominicaine serait en meilleure position pour gérer l’aide destinée à Haïti, comme si le pays voisin était structurellement incapable de se gouverner lui-même.

Interrogé sur ce point, le président Abinader s’est gardé de valider cette proposition, tout en qualifiant la question de « préoccupation tout à fait légitime ». Il a rappelé que la BID disposait de ses propres mécanismes d’audit, ajoutant : « Nous ne pouvons pas nous impliquer dans leur gestion. »

De nombreux observateurs haïtiens et internationaux ont dénoncé une tentative à peine voilée de renouer avec une logique d’occupation indirecte. Pour un diplomate haïtien contacté par RHINEWS, « cette proposition revient à dire que les Haïtiens sont incapables de gérer eux-mêmes leur avenir, ce qui est profondément offensant et inacceptable ». Une militante des droits humains à Port-au-Prince a pour sa part qualifié la déclaration de « symptôme d’un racisme structurel déguisé en bon sens technocratique ».

L’incident intervient dans un contexte particulièrement tendu. Alors que Vatican News relayait récemment des accusations de violations des droits humains contre les migrants haïtiens en République dominicaine, le président dominicain a minimisé l’affaire, qualifiant les accusations de « simples absurdités relayées par un individu ». Pour mémoire, ces déclarations faisaient écho à un rapport sur les expulsions massives, les détentions arbitraires et les discours ultranationalistes à l’encontre des Haïtiens.

« Tous les pays peuvent se lasser d’Haïti, sauf la République dominicaine », a déclaré le vice-ministre Silie, cité par le président. Une formule ambiguë, que certains interprètent comme un appel à la tutelle régionale plutôt qu’à une réelle coopération bilatérale.

La controverse ne faiblit pas sur les réseaux sociaux, où la journaliste Paniagua est accusée d’instrumentaliser l’aide internationale pour justifier une forme d’annexion morale et administrative. Sur X (ex-Twitter), l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot a ironisé : « Après la ‘mission civilisatrice’ de 1915, voici venir la gestion éclairée par procuration de 2025. »

La BID n’a pas encore réagi publiquement à cette proposition. L’institution avait annoncé en mai 2025 un soutien de 290 millions de dollars à des projets sociaux et sanitaires en Haïti, notamment pour renforcer les hôpitaux dans les régions les plus touchées par la crise humanitaire.