WASHINGTON, samedi 7 juin 2025 RHINEWS)-La Cour suprême des États-Unis a rejeté jeudi 5 juin, à l’unanimité, une plainte de 10 milliards de dollars déposée par le gouvernement mexicain contre plusieurs fabricants d’armes américains, accusés d’alimenter le trafic illégal d’armes vers les cartels. Une décision qui, au-delà des frontières mexicaines, résonne fortement en Haïti, où ce même trafic alimente des groupes armés qualifiés de terroristes par Washington, et contribue à plonger le pays dans une crise sécuritaire et humanitaire inédite.
Dans son arrêt, la Cour suprême s’est appuyée sur la Protection of Lawful Commerce in Arms Act (PLCAA) de 2005, loi qui protège les fabricants d’armes contre les poursuites judiciaires engagées à la suite de crimes commis avec leurs produits. Rédigeant l’opinion de la Cour, la juge Elena Kagan a estimé que le Mexique n’avait pas apporté de preuves suffisantes établissant que les fabricants, comme Smith & Wesson, Glock, Colt ou Beretta, avaient intentionnellement facilité le trafic vers les cartels.
Le gouvernement mexicain soutenait que certaines armes étaient conçues spécifiquement pour séduire le marché des cartels, citant notamment le modèle “Super El Jefe”. La Cour a néanmoins conclu que cela ne constituait pas une participation active ou une intention délibérée. En réaction, Mexico a exprimé sa “profonde déception”, promettant d’explorer d’autres voies judiciaires à l’international pour faire cesser ce flot meurtrier.
Ce verdict intervient alors que les Nations Unies tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences similaires du trafic d’armes en Haïti. Dans un rapport accablant publié en mai 2025 par l’ONUDC, il est établi qu’un flux soutenu d’armes à feu, notamment des fusils d’assaut et des munitions de gros calibre, arrive dans le pays depuis les États-Unis, en particulier via la Floride. Ces armes sont fréquemment achetées par des “hommes de paille”, puis dissimulées dans des conteneurs maritimes, échappant aux maigres contrôles dans les ports haïtiens, en particulier à Port-au-Prince.
Cette prolifération alimente directement la puissance de feu des groupes armés comme “400 Mawozo”, “5 Segond”, “Viv Ansanm” et “Gran Grif”, qui contrôlent aujourd’hui plus de 85 % de la capitale. Le déséquilibre est tel que la Police nationale haïtienne, mal équipée et démoralisée, ne parvient plus à faire face. Le bilan humain est dramatique : plus de 5 600 morts, 3 700 blessés ou enlevés pour la seule année 2024, selon les données du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).
Les conséquences humanitaires sont catastrophiques. Plus d’un million de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays, tandis que l’insécurité alimentaire touche désormais 1,6 million d’Haïtiens. Les écoles, les hôpitaux et les institutions publiques ont cessé de fonctionner dans les zones gangrenées par la violence. L’ONU parle d’“effondrement de l’État haïtien” si des mesures concrètes ne sont pas prises.
En octobre 2022, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté la résolution 2653, imposant un embargo sur les armes à destination d’Haïti. Pourtant, les experts onusiens dénoncent des violations persistantes, facilitées par l’absence de contrôle portuaire, la corruption locale, et la complicité de certains membres des élites économiques et politiques haïtiennes.
Alors que les États-Unis viennent de désigner les groupes “Viv Ansanm” et “Gran Grif” comme organisations terroristes transnationales, cette désignation ne s’est pas encore traduite par un renforcement des mécanismes de contrôle sur les exportations d’armes. Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a lancé un appel pressant : « Le flux d’armes vers Haïti doit cesser immédiatement. Chaque cargaison illicite alimente une guerre contre le peuple haïtien. »
Le parallèle entre le Mexique et Haïti met en lumière un système global où les fabricants d’armes bénéficient d’une immunité légale quasi totale aux États-Unis, tandis que leurs produits alimentent des crises transnationales de sécurité. Si la décision de la Cour suprême constitue un revers pour les recours juridiques extraterritoriaux, elle n’écarte pas la possibilité d’une législation future plus contraignante, notamment sous pression d’organisations multilatérales ou d’alliances régionales affectées par le trafic.
En attendant, les États les plus vulnérables comme Haïti continuent de payer le prix d’un commerce d’armes dont les conséquences ne s’arrêtent pas aux frontières américaines.