Interdiction d’entrer aux Haïtiens: Une mesure qui pénalise plutôt les victimes que les coupables…

Donald Trump, President des EtatsUnis

WASHINGTON, jeudi 5 juin 2025 (RHINEWS) –L’administration Trump a annoncé mercredi une mesure drastique interdisant l’entrée sur le sol américain aux ressortissants de douze pays, dont Haïti, à compter du 9 juin à minuit. Présentée comme une initiative destinée à protéger les États-Unis de potentielles menaces sécuritaires, cette décision suscite une vive inquiétude dans les communautés haïtiennes des deux côtés de l’Atlantique, tant elle frappe un pays en crise, ravagé par le terrorisme intérieur, mais dont les citoyens sont essentiellement des victimes, et non des agresseurs.

« Nous ne permettrons pas à des gens de venir dans notre pays s’ils veulent lui faire du mal », a déclaré le président Trump dans une vidéo diffusée sur le réseau X, en défendant son décret présidentiel. Il affirme que les pays visés, dont Haïti, présenteraient des « taux élevés de dépassement de visa », des « déficiences graves dans leurs procédures de vérification d’identité » et abriteraient « une présence massive de groupes terroristes ».

Pourtant, aucun incident récent n’a été lié à des ressortissants haïtiens. L’attaque évoquée par Trump – un acte incendiaire à Boulder, Colorado, perpétré par un ressortissant égyptien – n’a aucun lien avec les douze pays inscrits sur la liste noire. Dans ce contexte, l’inclusion d’Haïti dans cette nouvelle vague de restrictions migratoires soulève la question d’un amalgame dangereux entre un peuple en détresse et une menace sécuritaire imaginaire.

Haïti est aujourd’hui un pays sinistré. Depuis 2021, des groupes armés qualifiés d’organisations terroristes par les Etats-Unis, tels que “Viv Ansanm” et “Gran Grif”, sèment la terreur dans la capitale et plusieurs régions du pays. Des hôpitaux ont été incendiés, des centres universitaires détruits, des aéroports attaqués et des milliers de civils déplacés. De nombreuses familles haïtiennes tentent de fuir ce chaos, souvent par des voies aériennes passant par les États-Unis, pour rejoindre l’Europe, le Canada ou d’autres destinations.

« Cette décision est une punition collective contre un peuple qui subit la violence au quotidien », déclare à RHINEWS le Dr Lionel Frédéric, médecin urgentiste haïtien régulièrement amené à accompagner des patients graves vers des hôpitaux américains. « On coupe l’accès aux soins pour les malades, on bloque les musiciens, les étudiants, les religieux. C’est profondément injuste. »

Des milliers d’Haïtiens effectuent chaque année des voyages vers les États-Unis pour se faire soigner, participer à des conférences, honorer des contrats professionnels ou artistiques. Pour les musiciens haïtiens, notamment du compas et du gospel, cette décision menace directement leur carrière. « C’est comme si on nous amputait d’une jambe », confie le manager d’un célèbre groupe de Port-au-Prince. « Les tournées sont une source vitale de revenus. Elles permettent aussi de faire rayonner Haïti positivement. Et maintenant, tout est suspendu. »

Les pasteurs et responsables religieux qui animent des retraites, des conventions ou participent à des échanges ecclésiastiques voient également leurs perspectives bloquées. « Nous sommes appelés à servir entre les nations, surtout en ces temps troublés. Cette mesure nous empêche de remplir cette mission spirituelle », déplore le révérend Michel Dumay, président d’un réseau d’églises protestantes.

Les opérateurs d’ONG basées en Haïti, souvent financées ou coordonnés depuis les États-Unis, se retrouvent également dans une impasse. Plusieurs d’entre eux ne pourront pas renouveler leurs visas, ni participer à des missions ou rencontres stratégiques en présentielle avec les bailleurs internationaux. Cela pourrait ralentir l’acheminement de l’aide humanitaire dans un pays où plus de 4,8 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë, selon les Nations unies.

Mais le paradoxe le plus troublant de ce décret réside dans le fait qu’il ne cible pas les véritables soutiens du terrorisme haïtien. Plusieurs anciens hauts responsables politiques haïtiens accusés de collusion avec les gangs, frappés de sanctions par les États-Unis, le Canada ou le Conseil de sécurité des Nations unies, résident pourtant encore sur le sol américain. « Ces hommes ont financé les réseaux criminels. Ils ont offert aux chefs de gangs une protection politique et diplomatique. Ils ont trahi leur peuple », rappelle un expert en gouvernance interrogé par RHINEWS sous couvert d’anonymat. « S’il faut protéger la sécurité américaine, c’est d’abord contre ces individus qu’il faut agir. »

En ciblant indistinctement toute une population, cette décision donne le sentiment d’un amalgame entre un peuple victime et les bourreaux qui l’ont poussé à l’exode. Cela contredit aussi l’image que les États-Unis souhaitent projeter en tant que refuge pour les opprimés et partenaire des pays en crise.

Du côté de la diaspora haïtienne aux États-Unis, les inquiétudes sont nombreuses. Plusieurs familles craignent désormais de ne plus pouvoir faire venir des proches à charge. D’autres, en procédure de régularisation ou en attente de statut humanitaire, redoutent une accélération des refus.

En Haïti, la mesure pourrait indirectement provoquer une recrudescence des départs clandestins, en particulier vers l’Amérique du Sud ou l’Europe, au risque de naufrages et d’exploitation par des réseaux de passeurs. Elle pourrait également durcir les politiques migratoires de pays de transit, comme la République dominicaine, le Panama ou le Mexique.

La société civile haïtienne appelle à une réaction immédiate. « Cette décision doit être révisée. Le peuple haïtien n’est pas une menace. Il est en détresse et il mérite solidarité, pas ostracisme », a déclaré a RHINEWS le militant, coordinateur de l’Observatoire pour la dignité humaine (ODH). « Nous appelons la Maison Blanche à revoir ce décret, à écouter les véritables experts de la région, et à orienter sa politique vers la coopération et non la stigmatisation. »

Dans l’attente d’un éventuel réexamen de la mesure, le gouvernement haïtien, actuellement en grande difficulté institutionnelle, reste silencieux. Mais plusieurs chancelleries caribéennes, africaines et latino-américaines entendent saisir le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Car au-delà du cas haïtien, c’est une certaine idée de la justice migratoire mondiale qui est en jeu.

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