PORT-AU-PRINCE, vendredi 23 mai 2025 (RHINEWS) —
Remis au Conseil présidentiel de transition le mercredi 21 mai, l’avant-projet de la nouvelle Constitution haïtienne propose une réingénierie profonde du pouvoir exécutif, en recentrant l’ensemble de l’appareil gouvernemental autour d’un Président de la République dont les prérogatives apparaissent sensiblement accrues. Officiellement conçu pour moderniser l’État et stabiliser les institutions, le texte soulève pourtant de vives inquiétudes, tant par sa portée centralisatrice que par les reculs qu’il semble opérer par rapport aux principes de contrôle démocratique instaurés en 1987.
Dès l’article 123, le ton est donné : le président est simultanément chef de l’État et chef du gouvernement, rompant avec la logique semi-parlementaire adoptée après la dictature. Il nomme les ministres (art. 124), choisit un Premier ministre parmi eux (art. 124-1) et peut mettre fin à leurs fonctions à sa seule discrétion. Ce Premier ministre, loin d’être un chef de gouvernement autonome, agit plutôt comme un coordinateur subordonné. Un constitutionnaliste interrogé par RHINEWS alerte : « Il y a là un glissement vers une concentration verticale du pouvoir exécutif entre les mains d’un seul homme », ce qui menace, selon lui, l’équilibre institutionnel.
Le président est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois (art. 120-2), avec une prise de fonction fixée au 7 février (art. 120-3). Une innovation controversée permet de l’élire dès le premier tour si l’écart avec le second candidat atteint 25 % (art. 120-1), ce qui viserait à éviter les seconds tours jugés coûteux. Si aucune élection n’a lieu à temps, le Conseil des ministres, dirigé par le Premier ministre, assure l’intérim (art. 120-4), avec la possibilité d’un intérim prolongé jusqu’à la fin du mandat en cas de vacance dans la dernière année (art. 135).
Le président dirige aussi les forces armées et la police (art. 130), nomme les directeurs généraux (art. 129), dispose du droit de grâce (art. 131) et exerce un pouvoir réglementaire étendu (art. 126). Il peut déléguer ses compétences par arrêté (art. 126 et 133-1) et pilote l’ensemble de la politique diplomatique (art. 127 à 127-3). Bien que l’article 136 précise que le président « n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution », le cadre pratique reste permissif : il peut même légiférer seul en cas de guerre ou de catastrophe (art. 137), en l’absence de tout filtre parlementaire effectif.
Les contre-pouvoirs apparaissent érodés. L’article 134-1 interdit tout questionnement d’un ministre si le président est temporairement empêché, une disposition pouvant geler le débat parlementaire. Le Premier ministre n’est pas soumis à un vote de confiance et ne procède pas d’une majorité législative, ce qui réduit le Parlement à un rôle d’enregistrement, et non de cogestion. L’article 143 énumère les membres du gouvernement, mais sans effet réel sur l’équilibre interne : le président préside le Conseil des ministres (art. 145), convoque des conseils restreints (art. 145-1), valide leurs décisions (art. 145-2), et contrôle les archives sans obligation de transparence (art. 145-3).
Quant à la politique générale de l’État, l’article 144 indique qu’elle est définie par le gouvernement, mais cette orientation semble pilotée de facto par la présidence. Les ministres doivent contresigner ses actes (art. 150), partagent solidairement la responsabilité (art. 151), mais restent, dans les faits, dépendants d’un exécutif unipersonnel. Si l’article 153 précise que « l’ordre du Président ne peut soustraire un ministre à sa responsabilité », aucun mécanisme indépendant d’arbitrage judiciaire n’est prévu, rendant ce principe théorique.
Le nombre de ministères est plafonné à quinze (art. 146), les critères de nomination sont stricts : nationalité haïtienne exclusive, casier judiciaire vierge, absence de débets (art. 147). Cette exigence, qui inclut désormais le président dans la catégorie des « comptables des deniers publics » (art. 147-e), marque un changement significatif. Pour la première fois, le chef de l’État pourrait être tenu pour responsable de sa gestion financière, brisant ainsi l’immunité tacite qui prévalait sous les textes précédents. Mais sans institutions de contrôle solides, cette avancée reste théorique.
Sur le plan de l’intérim, les articles 156 et 157 encadrent les remplacements présidentiels, tout en maintenant un contrôle présidentiel direct : le chef de l’État peut désigner lui-même le ministre intérimaire, pour une période allant jusqu’à trois mois. Les marchés publics restent fermés aux membres du gouvernement (art. 155), une clause éthique importante mais sans dispositif de sanction explicite.
En somme, malgré certains jalons de modernisation (calendrier électoral fixé, limitations de mandat, responsabilité financière élargie), le projet constitutionnel opère un retour marqué à une architecture présidentialiste forte. L’autonomie du Parlement est affaiblie, l’équilibre des pouvoirs réduit à l’état de principe, et les garanties de reddition de comptes, largement absentes ou symboliques.
Comme le résume un ancien membre de l’Assemblée constituante de 1987 : « Ce projet n’est pas sans vertus, mais il tourne dangereusement le dos à l’équilibre des pouvoirs pour lequel tant de luttes ont été menées après la dictature. » Dans un pays meurtri par les excès de l’autoritarisme et la faiblesse chronique des institutions, ce recentrage vertical du pouvoir exécutif pose une question fondamentale : la modernisation peut-elle justifier un tel déséquilibre démocratique ?