PORT-AU-PRINCE, mardi 22 avril 2025 (RHINEWS)– L’Observatoire de la Décentralisation et du Développement Local (ODDL), appuyé par “155 élus locaux” et citoyens, a officiellement saisi la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA) pour dénoncer de graves irrégularités dans le projet de budget rectificatif 2024-2025 adopté par le gouvernement de transition. Dans une requête transmise aux conseillers de la CSCCA, l’ODDL dénonce un processus entaché de vices de forme et de fond, et alerte sur les risques élevés de détournements des fonds publics au détriment des collectivités territoriales.
« Le gouvernement de Transition devrait d’abord publier dans le Moniteur l’Accord du 3 avril qui lui donnerait le pouvoir de travailler sur le décret de finances et de lancer le processus de formation de l’OCAG », affirme l’organisation, dénonçant un non-respect manifeste des règles budgétaires en l’absence d’un Parlement, et ce malgré la mise en place prévue de l’OCAG pour combler ce vide institutionnel. Selon l’ODDL, le projet a été adopté sans l’avis préalable obligatoire de la CSCCA et sans consultation formelle des structures créées pour garantir la transparence, comme le prévoit l’accord d’avril 2024.
L’ODDL insiste sur le fait que ce budget, qualifié de « faussé et illégal », représente une menace directe à l’autonomie administrative et politique des collectivités. Il cite notamment l’ingérence du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT) dans la gestion des fonds alloués aux mairies et aux Casecs, affirmant que le ministère impose des affectations budgétaires sans tenir compte des priorités locales. « C’est le MICT qui paie les loyers des mairies, décide du montant à verser pour les raras, les carnavals ou les fêtes patronales », déplore le texte. Cette pratique empêche, selon les auteurs, la mise en œuvre d’initiatives communautaires originales comme les académies de musique, les projets environnementaux ou les centres d’art locaux.
L’ODDL signale également que 350 millions de gourdes ont été budgétisés pour les festivités, alors que seulement 25 millions sont destinés aux asiles communaux et aux centres d’art et métiers pour les enfants et jeunes en situation précaire, qualifiés de « pépinière de nos gangs » par le document. L’organisation demande instamment que les collectivités territoriales reçoivent l’intégralité de leurs subventions, accompagnées d’un guide budgétaire adapté.
En sus de ces critiques, l’ODDL publie une liste de dépenses qu’elle juge non imputables aux collectivités, représentant plus de 1,3 milliard de gourdes. Parmi ces dépenses, on retrouve des montants alloués à des institutions décentralisées (21 millions pour l’ATLD), à des dettes non perçues par les mairies (1,5 milliard), ou encore à des projets formulés de manière vague en pleine période électorale. Ces fonds, selon l’ODDL, doivent être supprimés du budget des collectivités et rattachés à des institutions compétentes.
Autre exemple d’irrégularité relevée : les 80 millions de gourdes prévus pour les festivités de rara et de carnaval alors même que ces activités ont été annulées dans plusieurs communes pour raisons d’insécurité. Ces lignes budgétaires, affirme le document, « soulèvent de graves questionnements sur les intentions des membres du pouvoir ». L’organisation ajoute que « les revenus du FGDCT sont largement minorés », puisqu’ils sont estimés à 5,43 milliards de gourdes, sans inclure les contributions attendues de grandes entreprises modernisées comme la Cimenterie nationale, les Moulins d’Haïti ou le Port de Lafito. L’ODDL qualifie cette estimation de « tendancieuse et fausse », en violation du principe de sincérité budgétaire.
La radio RTVC a également révélé que 3,5 milliards de gourdes seraient alloués à un Parlement inexistant. « À quoi servent ces 3,5 milliards, quand on ne peut même pas franchir les portes de l’édifice, dont l’accès est interdit par les gangs ? », questionne la lettre. De plus, l’ODDL conteste l’allocation de 147 millions de gourdes issus du FGDCT pour la mise en place des Conseils de Sécurité Municipaux (CSM), une tâche qui, selon elle, devrait relever de la Primature, du MICT ou du MJSP, en vertu du décret de 2006 sur la décentralisation.
Le document va plus loin en signalant des lacunes majeures, telles que l’absence totale de provisions pour l’accueil des déplacés internes et la non-réaffectation des revenus du carnaval national au FGDCT. S’ils l’étaient, ces fonds porteraient les revenus du fonds à 83,36 milliards de gourdes, ce qui selon l’ODDL, « serait une bouffée d’oxygène pour la classe paysanne et la petite bourgeoisie commerçante des bourgs et des villes de province ».
L’ODDL évalue à 2,75 milliards les dépenses illégales ou répétées dans ce budget rectificatif, soit 52 % du montant estimé pour le FGDCT. De plus, 1,49 milliard de gourdes sont présentés comme des fonds détournés ou sujets à suspicion. « La CSCCA ne peut avaliser la corruption systématique et préméditée », tranche l’organisation.
En guise de solution, l’ODDL appelle la CSCCA à déclarer l’illégalité du budget rectificatif et à exiger son retrait immédiat. Elle recommande également la formation d’une commission mixte de réforme budgétaire composée d’experts nationaux et internationaux, si le gouvernement n’a pas les moyens de corriger seul ces erreurs.
« Le procès de la Consolidation qui en suivra ne permettra pas aux coupables de s’accaparer des rênes du pouvoir durant les années à venir », prévient l’ODDL, qui demande un arrêt historique, à l’image de celui du scandale Petrocaribe. Elle invite les membres de la CSCCA à prendre leurs responsabilités : « Seul le pouvoir arrête le pouvoir, sinon, c’est la dictature ou l’anachopopulisme ».
L’ODDL rappelle que cette démarche a été rendue possible grâce au courage de 155 élus locaux et citoyens, dont les signatures et les pièces d’identité figurent en annexe. « Cette victoire est celle de la démocratie locale », souligne André Lafontant Joseph, signataire de la lettre et coordonnateur du GRIDE. L’organisation estime que ce combat ouvre la voie à un nouveau rapport entre le pouvoir central et les collectivités territoriales, plus juste, plus transparent et plus respectueux des principes démocratiques.