PORT-AU-PRINCE, mardi 17 juin 2025 – (RHINEWS)- La crise de gouvernance qui paralyse le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) suscite de vives réactions alors que l’échéance du 7 février 2026, fixée pour le retour à l’ordre constitutionnel, approche. Dans une lettre publique adressée le 16 juin aux membres du Conseil, l’observateur Frinel Joseph alerte sur une impasse dangereuse et appelle à une « retraite d’urgence » pour tenter de sauver la transition. En retour, le militant des droits humains Pierre Espérance dénonce une « opération de diversion » menée, selon lui, par un acteur discrédité.
« Le Conseil est bloqué en raison des luttes internes entre les membres votants, s’accusant publiquement », écrit Frinel Joseph dans sa correspondance, rendue publique par Le Relief. « Il reste au Conseil environ huit mois, et le pays attend des résultats concrets. » Selon lui, les divergences persistantes compromettent l’exécution du mandat confié au CPT par l’accord du 3 avril 2024, à savoir : garantir la sécurité, organiser un référendum constitutionnel et conduire des élections avant février 2026.
Frinel Joseph souligne pourtant les « avancées importantes » déjà enregistrées : les nominations des Premiers ministres Garry Conille et Alix Didier Fils-Aimé, le lancement de la Conférence nationale, la rédaction d’un avant-projet de Constitution en mai 2025, et la mise en place du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Mais il déplore l’absence d’écoute accordée aux observateurs et les décisions « contestables » prises sans leur avis. « J’avais exprimé des réserves sur la présidence tournante […] Je pensais que cela allait donner des problèmes dans la transmission des charges. De fait, ce problème se pose aujourd’hui », insiste-t-il.
Appelant ses collègues à une « retraite d’urgence » pour régler les contentieux internes, Joseph suggère également la convocation d’une rencontre avec les forces vives de la nation, une présentation périodique des actions du CPT à la population, et la tenue d’un Conseil des ministres pour adopter un décret référendaire. « Nous avons une responsabilité historique. Nous devons nous mettre au travail pour le bien du pays », conclut-il.
Mais ces propos ont aussitôt suscité la réprobation de Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), qui accuse Frinel Joseph de vouloir s’exonérer de ses propres responsabilités dans l’échec du processus de transition. « Ce n’est pas seulement le gouvernement et les membres votants du CPT qui ont échoué, mais aussi les observateurs comme Frinel Joseph », déclare-t-il à RHINEWS. « Il prétend faire la leçon alors qu’il est partie prenante du désastre. »
Espérance s’interroge sur le rôle réel des observateurs, leur utilité, et leur silence sur les dérives observées. « À quoi servent les observateurs au sein du CPT dont le rôle n’a jamais été défini et compris ? À qui font-ils rapport ? Qu’ont-ils observé depuis qu’ils sont en poste ? », questionne-t-il. Il accuse Joseph d’avoir fermé les yeux sur le scandale de corruption à la Banque Nationale de Crédit (BNC), impliquant trois membres du CPT, et d’avoir participé lui-même à des pratiques opaques. « On ne peut pas être à la fois juge et partie », assène Espérance.
Selon lui, Frinel Joseph serait impliqué dans des trafics d’influence, notamment dans la vente de postes à la tête des directions générales de l’administration publique. Il l’accuse aussi d’avoir facilité la mise en place d’un CEP « sans crédibilité », incapable d’organiser des élections libres. « Tout ce qu’il fait, c’est planifier des magouilles pour soutirer de l’argent, en plus des privilèges indus dont il jouit au sein du CPT », affirme le militant.
Pour Espérance, la prise de position récente de Joseph serait motivée par une frustration personnelle : ses collègues n’auraient pas soutenu son projet de voyage à Washington. « Il est prêt à tout pour satisfaire ses ambitions personnelles. En quoi un voyage de M. Joseph à Washington pourrait-il être utile au pays, si ce n’est pour lui permettre de profiter de privilèges que son statut d’observateur ne lui confère pas ? », conclut-il.
Dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis du Conseil Présidentiel, cette passe d’armes entre un observateur du CPT et un acteur majeur de la société civile illustre la profondeur de la crise institutionnelle. À huit mois de la date butoir constitutionnelle, l’avenir de la transition politique demeure incertain.