Haïti face à un virage constitutionnel périlleux : le Parlement vidé de sa substance dans l’avant-projet de réforme…

MIAMI, lundi 26 mai 2025, (RHINEWS)-La publication de l’avant-projet de Constitution de mai 2025 soulève une onde d’inquiétude profonde parmi les constitutionnalistes, parlementaires et défenseurs des droits démocratiques. Derrière une architecture apparemment bicamérale du pouvoir législatif — Chambre des députés et Sénat — se dessine un effritement subtil mais stratégique des prérogatives du Parlement, pourtant co-dépositaire de la souveraineté nationale selon la Constitution de 1987. En dépit de l’apparente continuité institutionnelle, les attributions des Chambres s’amenuisent au profit d’un Exécutif hypertrophié, augurant une régression préoccupante de la démocratie haïtienne.

L’avant-projet du mois de mai, tout en conservant l’apparence d’un Parlement bicaméral, en vide de son essence fonctionnelle le Pouvoir Législatif. Certes, les deux Chambres, selon les articles 71 à 93-5, conservent leur rôle dans l’élaboration des lois, l’approbation des traités, et la tenue des séances publiques, mais plusieurs éléments fondamentaux révèlent un déséquilibre institutionnel structurel. Le texte limite considérablement leur portée d’action face à un Exécutif qui détient désormais l’initiative exclusive des lois budgétaires, fiscales et financières (article 93-2), et qui se réserve le droit de convoquer un Parlement à l’extraordinaire, à sa seule discrétion (articles 87 et 93).

La Constitution de 1987 avait fait de la Chambre des députés et du Sénat les piliers d’un pouvoir de contrôle et de co-gouvernance, allant jusqu’à conférer au Sénat un rôle crucial dans le contrôle de l’Exécutif, dans l’approbation du gouvernement, des conventions internationales, ou encore dans la régulation de l’état d’urgence. Dans le texte proposé en 2025, ces prérogatives ne sont pas abolies de manière frontale, mais réduites à des fonctions de confirmation ou de formalisation de décisions exécutives. L’article 80-2 précise ainsi que « les pouvoirs de l’Assemblée nationale sont limités et ne peuvent s’étendre à d’autres objets que ceux qui sont spécialement attribués par la Constitution ». Une telle disposition réduit la marge de manœuvre parlementaire à un cadre étroitement balisé, verrouillant toute initiative politique autonome des élus.

Le Sénat, autrefois chambre de stabilité politique par le renouvellement partiel et les débats de fond, perd lui aussi sa capacité de pondération. L’article 77-1 introduit une session permanente, mais vidée de pouvoir décisionnel en cas d’ajournement, confiant à un simple « comité permanent » la gestion des affaires courantes, sans pouvoir délibératif. De plus, le droit d’initiative partagé entre les Chambres et l’Exécutif (article 93-1) est en réalité biaisé par les verrous placés sur les lois les plus stratégiques : l’impôt, le budget et les dépenses ne peuvent émaner que de l’Exécutif.

La réforme prévoit certes une avancée électorale avec l’inclusion de la diaspora tant à la Chambre qu’au Sénat (articles 72-3 et 76-3), ainsi qu’une ouverture relative à la jeunesse et aux femmes, signalée dans les articles 72-1 et 76-1. Mais ces mesures d’inclusivité ne compensent en rien l’affaiblissement de la fonction de contrôle parlementaire. Pire encore, elles peuvent servir d’alibi démocratique à une centralisation extrême du pouvoir.

Un autre point de rupture avec la Constitution de 1987 est la suppression de la responsabilité directe du gouvernement devant le Parlement. En 1987, l’Exécutif devait obtenir une déclaration de politique générale ratifiée par les deux Chambres. Cette exigence est absente du nouveau texte, traduisant une dynamique d’hyperprésidentialisme qui affranchit de fait le pouvoir exécutif de toute contrainte politique parlementaire.

De surcroît, même la Haute Cour de Justice, traditionnellement garante d’une certaine balance institutionnelle, est réduite à une simple possibilité de mise en accusation du Chef de l’État (article 75), sans mécanisme détaillé de procédure ni garantie de sa mise en œuvre. Cela renforce la perception d’un Parlement décoratif. La souveraineté nationale, autrefois partagée entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire, est désormais monopolisée de facto par la Présidence, érodant les fondements du régime démocratique.

« On ne peut s’asseoir sur des braises en prétendant être une feuille verte. Quand le Parlement est sans poids, le peuple est sans voix. » lançait un ancien parlementaire interrogé par RHINEWS. Une formule qui illustre parfaitement le décalage entre l’architecture institutionnelle affichée par le texte et le vide de pouvoir réel que subit la branche législative.

Le danger est donc double. D’une part, la réduction des contre-pouvoirs rend le régime vulnérable aux dérives autoritaires, en particulier dans un contexte de fragilité sécuritaire, de violence des gangs et d’impunité généralisée. D’autre part, l’affaiblissement du Parlement sape les fondations de la participation citoyenne, notamment à travers ses représentants élus, et dépossède la population de son principal levier d’influence politique.

Face à cette mutation, la question reste entière : Haïti a-t-elle avancé ou reculé sur le chemin de l’État de droit ? L’analyse montre un recul manifeste, malgré les apparences constitutionnelles. L’avant-projet de mai 2025, sous couvert de rationalisation et de stabilité, organise une recentralisation verticale du pouvoir incompatible avec les principes d’une démocratie pluraliste.

Dans ce contexte, les institutions de la société civile, les organisations internationales, les partis politiques, mais surtout le peuple haïtien lui-même devront s’interroger : peut-on accepter un Parlement sans pouvoirs dans un régime qui se veut encore républicain ? Car sans législateur libre, il n’est point de démocratie durable.