PORT-AU-PRINCE, mercredi 11 juin 2025 (RHINEWS)–Dans une déclaration conjointe, plusieurs organisations de défense des droits humains et de la société civile haïtienne ont exprimé leur rejet catégorique de l’avant-projet de réforme constitutionnelle présenté au Conseil présidentiel de transition (CPT). Selon elles, ce texte, issu d’un processus opaque et sans légitimité démocratique, menace gravement les fondements de la démocratie haïtienne, notamment la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice et l’organisation territoriale de l’État.
« Nous rejetons catégoriquement l’avant-projet de réforme de la constitution de 1987 que le Comité de Pilotage a présenté au CPT, dans ce contexte d’insécurité généralisée et issu d’un processus illégal, en violation des principes fondamentaux de transparence, de participation et de souveraineté du peuple », affirment les organisations signataires, parmi lesquelles la Plateforme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains (POHDH), la Commission Épiscopale Nationale Justice et Paix (CE-JILAP), le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) et le collectif Ensemble Contre la Corruption.
Les signataires dénoncent en particulier la mise en place d’un Comité de pilotage sans consultation ni concertation avec les secteurs vitaux de la société haïtienne, contrairement à ce que prévoyait l’Accord du 3 avril 2024, censé encadrer la transition politique actuelle. Ils notent également que le décret du 17 juillet 2024 attribuant un mandat constituant à ce Comité excède les termes de l’accord initial, alors que « seule une Assemblée constituante élue peut légalement rédiger une nouvelle Constitution ».
Le communiqué dénonce aussi un processus marqué par l’opacité et l’exclusion. « C’est avec étonnement et consternation que nous avons appris a posteriori […] l’annonce de prétendues assises départementales et de la tenue d’une “Conférence nationale”. En réalité, aucune information claire ni communication publique n’avait été diffusée en amont concernant l’organisation, le calendrier, les critères de participation ou les modalités de ces rencontres », peut-on lire dans le document.
Derrière cette manœuvre constitutionnelle, les organisations voient une stratégie de consolidation du pouvoir au profit de certains acteurs de la transition. « Cette démarche s’inscrit dans une tendance problématique qui cherche à utiliser la réforme de la Constitution au nom d’une modernisation supposée, pour consolider avant tout leur pouvoir et répondre à leurs intérêts politiques et économiques », dénoncent-elles.
Sur le fond, le texte présenté suscite également une forte inquiétude. Le principe fondamental de séparation des pouvoirs, pilier de la Constitution du 29 mars 1987, y serait largement affaibli. « Le pouvoir judiciaire, censé être indépendant, se retrouve manifestement subordonné à l’exécutif. Cette domestication de la justice haïtienne nous révolte », affirment les signataires, y voyant une porte ouverte à l’impunité et à la corruption.
Ils critiquent en outre la confusion entretenue par l’avant-projet sur la forme de l’État haïtien, notamment avec l’introduction du terme « gouverneur » pour désigner les responsables départementaux. Cette appellation inédite dans le contexte haïtien « crée une confusion majeure quant à la structure réelle de l’État » et laisse planer le doute sur une éventuelle dérive fédéraliste, non assumée ni clairement définie.
Les incohérences sont également soulignées dans le traitement des collectivités territoriales. Le fait d’ériger toutes les sections communales au rang de communes est qualifié d’« aberration administrative », et l’absence de reconnaissance hiérarchique entre les communes et les départements est jugée contraire à toute logique d’organisation territoriale. À cela s’ajoute l’introduction non clarifiée du concept de « communautés de communes » pour les zones urbaines à forte densité, ce qui ajoute à la confusion institutionnelle.
« Ces imprécisions, contradictions et approximations révèlent une méconnaissance profonde des réalités haïtiennes et un mépris des principes de gouvernance démocratique », soutient la déclaration. Pour les organisations signataires, l’avant-projet doit donc être rejeté sans réserve : « Cet avant-projet de Constitution est non seulement illégitime dans sa procédure, mais aussi dangereux dans son contenu. Il doit être rejeté avec la plus grande fermeté. »
Enfin, elles insistent sur le fait que la crise actuelle n’est pas d’ordre constitutionnel mais relève de la gouvernance et du non-respect des règles existantes. Elles réaffirment leur attachement à la Constitution de 1987, « fruit de nombreuses luttes populaires et rédigée en tenant compte des réalités haïtiennes ». Si elles reconnaissent ses limites, elles soulignent qu’elle n’a jamais été pleinement appliquée.
Les organisations annoncent qu’elles poursuivront leur mobilisation en faveur d’un processus constitutionnel réellement démocratique, inclusif, transparent et porté par le suffrage populaire.