Avant-projet de Constitution haïtienne : “le pouvoir judiciaire rétrogradé à une simple autorité”, dénonce le professeur Sonet Saint-Louis…

Sonet Saint-Louis, Avocat

PORT-AU-PRINCE, lundi 2 juin 2025 – (RHINEWS )– Dans un long texte d’analyse transmis à la rédaction de RHINEWS, l’avocat et professeur de droit constitutionnel Sonet Saint-Louis dénonce une “dérive” majeure dans l’avant-projet de Constitution en cours d’élaboration sous l’égide du Comité de pilotage pour la conférence nationale. Selon lui, le nouveau texte « élimine le pouvoir judiciaire comme pouvoir souverain » et le rabaisse à une simple autorité dépourvue de légitimité démocratique.

« La justice n’est plus un pouvoir, mais une simple autorité », affirme Me Saint-Louis dans ce texte daté du 30 mai 2025, rédigé à Sous les bambous, La Gonâve. L’enseignant critique vigoureusement l’esprit et la lettre du texte constitutionnel en chantier, soulignant un « bouleversement politique » qui ferait passer Haïti d’un régime parlementaire à une « présidentialisation autoritaire ».

Selon lui, ce projet concentre tous les leviers de l’État entre les mains du président de la République, qui devient à la fois chef de l’État et du gouvernement. Il déplore notamment la reconduction de la possibilité d’un mandat présidentiel renouvelable et la disparition de contrepoids institutionnels.

Mais c’est surtout sur la justice que porte l’alerte de l’universitaire. Il estime que « l’avant-projet délégitime le pouvoir judiciaire et anéantit les fondements posés par la Constitution de 1987 pour son affranchissement. » Il critique l’abandon de la Cour de cassation comme pilier du pouvoir judiciaire au profit d’un Conseil constitutionnel et d’un ordre juridictionnel administratif séparé.

Pour le professeur Saint-Louis, cette réorganisation « introduit une dualité juridictionnelle hasardeuse » dans laquelle la justice est fragmentée sans ligne directrice propre à la tradition haïtienne. Il met en garde contre une transposition mécanique du modèle français, affirmant que « les institutions, comme les concepts juridiques, sont intimement liés à une vision nationale de la justice. »

Dans une critique incisive, il rappelle que « ce n’est pas la décision du juge en elle-même qui fonde sa légitimité, mais bien la base populaire qui lui confère l’autorité nécessaire pour rendre justice. » Il évoque à ce titre les articles 58, 59 et 175 de la Constitution de 1987 qui ancrent l’indépendance judiciaire dans la souveraineté nationale. « Sans délégation populaire, il n’y a pas de pouvoir légitime », insiste-t-il.

Citant les juristes Fritz Dorvilier, Guérilus Fanfan et Josué Pierre-Louis, Me Saint-Louis relaye un diagnostic partagé sur l’illégitimité structurelle des juges en Haïti. Il s’interroge : « Comment des juges qui participent à l’unité de la souveraineté nationale peuvent-ils désigner d’autres juges sans aucune consécration populaire ? »

En dénonçant une « confiscation de la souveraineté judiciaire » par le pouvoir exécutif, il accuse les législateurs du texte de contribuer à la crise institutionnelle du pays. « Le pouvoir judiciaire est un pouvoir démocratique, non une administration technique », martèle-t-il.

Quant à la réforme envisagée, Me Saint-Louis appelle à une refonte complète du texte plutôt qu’à un simple toilettage. « Un comité de relecture ne suffit pas. Les incohérences sont trop profondes. Il faut une rigueur doctrinale et un débat public sérieux. »

Saint-Louis soulève la question cruciale de la légitimité de la démarche elle-même. « Qui a aujourd’hui le pouvoir légal et constitutionnel de convoquer le peuple haïtien autour d’un changement aussi fondamental ? », interroge-t-il. Car, conclut-il, « la Constitution est la parole sacrée du peuple. Elle ne peut être altérée que par lui. »