LE CAP-HAÏTIEN, mardi 20 mai 2025 (RHINEWS)
– Au lendemain d’une cérémonie officielle marquée par l’indignation populaire, la célébration du 18 mai au Cap-Haïtien s’est transformée en vitrine de la fracture entre un pouvoir en quête de légitimité et un peuple à bout de souffle.
« Le drapeau couvre la honte », résume Hugue Célestin, militant de la FEMODEK et de l’ESKANP, dans un texte coup de poing publié depuis Grand-Pré. Sous une chaleur accablante et une sécurité renforcée, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le Premier ministre Alix Didier Fils Aimé ont orchestré, à grands frais, une commémoration jugée « hypocrite » par une frange large de la population.
La cérémonie, déplacée au Cap-Haïtien en raison de l’insécurité qui rend l’Arcahaie inaccessible, s’est tenue sous les ors de la cathédrale Notre-Dame. Mais le Te Deum chanté à l’intérieur contrastait cruellement avec les cris de colère venant de la rue.
« Ce n’était pas une fête, c’était un enterrement de la décence républicaine », s’indigne Célestin, décrivant une mise en scène fastueuse chiffrée à 299 millions de gourdes, « siphonnées des caisses publiques ». Il dénonce un « carnaval de pillards » maquillé en cérémonie officielle, dans une ville encore marquée par la pauvreté et le délabrement de ses infrastructures.
À quelques rues de là, à l’Hôpital Universitaire du Cap-Haïtien, la détresse était palpable. « Nan non drapo, chèf yo piye, yo vole 299 milyon goud, pa gen 299 mil senk kòb pou achte gaz pou laboratwa lopital la », confiait une infirmière, épuisée par un manque chronique de moyens.
Le contraste entre la solennité des discours officiels et la misère des services publics a nourri un climat d’exaspération. Dans les rues, les slogans fusaient : « Aba vòlè yo ! Pote kòd pou mare nèg Bidjè Lagè a ! » ou encore « 299 milyon goud pou fè defile pou vòlè, atoufè kriminèl ! »
Une bousculade a éclaté entre un enseignant et un policier à la sortie de la cathédrale, révélatrice des tensions sous-jacentes. Selon des témoins, l’enseignant aurait été agressé alors qu’il protestait contre l’absence de paiement de salaires. « Lui, il dénonçait les vrais voleurs », précise Célestin.
La cérémonie a aussi été entachée par une autre controverse : la remise de la plus haute distinction académique par des étudiants à Alix Didier Fils Aimé, Premier ministre dont le bilan reste flou. « Pour sa brillante invention de drones kamikazes protecteurs des gangs-milices », aurait ironisé un intervenant, sous les rires étouffés de l’assistance. « Le vide est couronné, l’incompétence est élevée au rang d’excellence », commente amèrement Célestin.
À travers une plume acerbe, il rappelle le sens initial du 18 mai, date de création du drapeau haïtien à l’Arcahaie en 1803, symbole de rupture et de souveraineté. « Le blanc fut arraché, comme on arrache un oppresseur », écrit-il. Aujourd’hui, selon lui, ce drapeau « traîne dans les flaques des combines politiciennes ».
Hugues Célestin déclare : « Le 18 mai ne peut pas être la fête d’un pouvoir en déroute. Il est et restera la mémoire vivante de notre combat contre toutes les formes d’oppression. » Et d’appeler à la responsabilité : « Tant que les hôpitaux souffrent, tant que les écoles ferment, tant que les gens hurlent “à bas les dirigeants voleurs”, aucune médaille ne saura effacer le bon mépris. »
« Haïti célèbre son drapeau dans la douleur, et selon plusieurs voix citoyennes, c’est désormais la République elle-même qui vacille sous les poids conjugués de la corruption, de l’indifférence et de la révolte silencieuse », conclut-il.