WASHINGTON, dimanche 15 juin 2025 (RHINEWS)- Depuis près de deux semaines, les États‑Unis connaissent une vague de contestation sans précédent. Sous la bannière des mobilisations « No Kings », des centaines de milliers de personnes dans plus de 2 000 villes – des manifestants prenant l’initiative à Los Angeles, New York, Miami ou Atlanta – dénoncent une montée de l’autoritarisme à Washington .
La colère s’est cristallisée autour de mesures jugées antidémocratiques : aiguisage des forces de l’ICE contre les immigrants en situation irrégulière, interpellation brutale d’un sénateur, mobilisation de la Garde nationale et de militaires pour disperser des manifestants, rhétorique musclée qualifiant les migrants de danger national. À Los Angeles, les raids de juin ont conduit à l’arrestation de dizaines d’immigrants et à l’usage de grenades lacrymogènes. En riposte, le président Trump a fédéralisé la Garde nationale et déployé des Marines, en violation de la Constitution selon ses opposants .
Le recours à la force est systématique : tirs de gaz, flash‑balls, arrestations massives, imposition de couvre‑feux, recours à la rhétorique de l’« invasion », tout concourt à installer un climat de peur . Certains gouverneurs, dont Gavin Newsom en Californie, dénoncent une action « autoritaire » et portent plainte contre l’administration fédérale, responsable d’une militarisation jamais vue depuis les années 1960 .
Ces pratiques s’articulent avec un projet plus large : le Project 2025, initié par la Heritage Foundation, qui vise à centraliser le pouvoir exécutif en plaçant des milliers de fonctionnaires sous le contrôle direct du président, supprimant ainsi la neutralité administrative . Le secrétaire du budget OMB, Russ Vought, exécuteur de ces orientations, réfute toute coordination, mais plus de 40 % des mesures sont déjà en place .
Cette dynamique rappelle les régimes « illibéraux » d’Europe centrale ou d’Amérique latine, voire le système poutinien, où institutions et médias indépendants sont érodés. L’usage croissant de la peur, la stigmatisation de l’« ennemi » (ici les migrants), et le recours de plus en plus assumé à la force institutionnelle ne sont pas des coïncidences. Ils s’inscrivent dans une stratégie de consolidation du pouvoir .
Face à cette offensive, la société civile se mobilise : des millions défilent au cri de « No Kings ! », dans un double geste de rejet du retour à un ordre autoritaire et de défense d’une culture démocratique pluraliste . Acteurs institutionnels, universités, syndicats, ONG et élus locaux s’unissent pour défendre la séparation des pouvoirs, la liberté de la presse et la protection des minorités.
Le défi posé par ces manifestations est clair : stopper la dérive avant qu’elle ne devienne irréversible. C’est l’alerte lancée par des penseurs comme Levitsky & Ziblatt (How Democracies Die) ou Larry Diamond (Ill Winds), qui ont mis en garde contre l’extinction progressive des démocraties par l’usure plus que par le coup d’État. De plus en plus, ce sont les États-Unis eux-mêmes, autrefois parangon de la démocratie, qui montrent les signes précurseurs d’un effritement institutionnel.
Aujourd’hui, le défi est de savoir si l’Amérique saura se ressaisir et réaffirmer les garde-fous fondamentaux : contrôle judiciaire, pluralisme des organes médiatiques, justice impartiale, électoralisme apaisé. Après avoir franchi certaines lignes rouges – militarisation de zones civiles, raids intimidants, instrumentalisation de l’administration – la poursuite ou l’inversion de cette trajectoire dépendra de la capacité citoyenne à réclamer des comptes et à faire respecter la Constitution.
Le risque est grand : si les États-Unis abandonnent leur statut de référence démocratique, ce serait un séisme global. La démocratie ne survit que lorsque ses citoyens, et pas seulement ses institutions, se dressent. Les mobilisations en cours montrent qu’une partie significative de la population n’est pas prête à lâcher prise. Et c’est en cela que réside peut-être la dernière chance d’enrayer la dérive. Car si la démocratie américaine vacille, la démocratie mondiale pourrait chanceler à son tour.