Haïti face à ses démons : l’étiquetage de Viv Ansanm et Gran Grif comme organisations terroristes, une rupture géopolitique inévitable…

Jimmy Cherizier ''Barbecue,'' chef du G-9 an Fanmi e Alye

Éditorial,


PORT-AU-PRINCE, dimanche 4 mai 2025 (RHINEWS)
– La récente désignation des groupes armés haïtiens Viv Ansanm et Gran Grif comme « organisations terroristes transnationales » par les autorités américaines représente un basculement stratégique d’envergure pour la communauté internationale. Ce geste, attendu depuis des mois, survient dans un contexte de chaos sécuritaire persistant en Haïti, où les exactions de ces coalitions criminelles ont plongé la population dans un régime de terreur absolue.

Depuis la fin de l’année 2022, Viv Ansanm – vaste fédération de gangs armés – et Gran Grif, puissant réseau criminelle opérant dans le département de l’Artibonite, ont transformé le pays en champ de guerre. Selon les derniers chiffres publiés par les Nations unies, plus de 10 000 personnes ont été tuées en Haïti en moins de trois ans, dont plus de 1 600 au seul premier trimestre 2025. Parmi les victimes : des enfants exécutés en pleine rue, des familles entières brûlées vives dans leurs maisons, des femmes et filles violées collectivement comme méthode d’intimidation.

« C’est un enfer humanitaire. Les gangs ne contrôlent pas seulement les rues, ils ont pris en otage l’État lui-même », résume un haut fonctionnaire de l’ONU, sous anonymat.

Plus de 1,2 million de personnes ont été déplacées, contraintes d’abandonner leur domicile sous la menace. Des camps informels surgissent aux abords de Port-au-Prince, à Canaan, place Jérémie ou Tabarre, où les conditions sanitaires sont qualifiées de « catastrophiques ».

Les pertes économiques et institutionnelles sont elles aussi colossales : plus de 300 écoles ont été détruites ou abandonnées, une cinquantaine de commissariats incendiés, vingt hôpitaux mis hors service, sans compter les mairies, tribunaux et bâtiments administratifs pillés ou rasés. Le Centre Hospitalier Universitaire de Mirebalais, fleuron du système de santé haïtien, a été contraint de fermer temporairement après l’occupation de la ville par les bandes armées.

La désignation par Washington place désormais Viv Ansanm et Gran Grif dans la même catégorie que Boko Haram ou Al-Qaïda, selon les normes du Trésor américain. Elle ouvre la voie à l’activation de mesures coercitives prévues par la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU, contraignant tous les États à coopérer activement pour geler les avoirs, interdire les déplacements et couper toute assistance aux entités désignées.

« Un seuil a été franchi », commente le professeur Julien Baudin, expert en droit international. « Cela signifie que tout individu, entreprise ou État qui serait reconnu comme soutien matériel ou financier de ces groupes pourra être poursuivi au niveau international. »

De nombreux hommes d’affaires haïtiens, des politiciens locaux et certains expatriés vivant entre Haïti, la République dominicaine et les États-Unis sont désormais sous surveillance. Plusieurs sources diplomatiques évoquent la possibilité de voir prochainement certains noms apparaître sur les listes noires internationales.

Cette désignation accroît la pression sur les partenaires régionaux d’Haïti, notamment la Jamaïque, le Belize et les Bahamas, qui ont jusqu’ici limité ou suspendu leur participation à la mission multinationale de sécurité dirigée par le Kenya.

Le silence prolongé du Conseil de sécurité est de plus en plus critiqué, d’autant que la situation sur le terrain continue de se dégrader. Le Kenya, principal contributeur de troupes, a dénoncé un sous-financement chronique : à peine 21 millions de dollars ont été déboursés sur les 110 millions promis, et seulement 1 000 des 2 500 agents prévus sont effectivement déployés.

« Si rien n’est fait, Haïti sera abandonnée à son sort », a déclaré Jim Grant, directeur de la Global Birthing Home Foundation à Torbeck. « Ce serait un génocide de l’indifférence, une honte planétaire. »

La désignation ouvre également la voie à des options militaires jusqu’ici écartées. Sous couvert de la lutte contre le terrorisme, des interventions ciblées sur les camps, routes de contrebande et dépôts d’armes des gangs pourraient être légitimées en dehors d’un mandat du Conseil de sécurité, sur le modèle des coalitions ad hoc formées au Sahel ou en Irak.

Le Commandement Sud des États-Unis (SOUTHCOM) ainsi que plusieurs agences américaines de sécurité intérieure seraient déjà en alerte pour préparer un éventuel soutien logistique renforcé. De leur côté, les partenaires africains de la mission multinationale, notamment le Rwanda et le Bénin, réévaluent leur engagement à la lumière de cette nouvelle doctrine.

La désignation change également les règles du jeu en matière de poursuites pénales. Interpol pourrait désormais lancer des mandats d’arrêt internationaux contre les chefs de gangs identifiés, leurs financiers, et les responsables politiques locaux qui leur offrent couverture et protection. Certaines voix appellent à transférer les dossiers les plus graves à la Cour pénale internationale (CPI), notamment les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par Viv Ansanm dans les quartiers de Martissant, Cité Soleil ou Carrefour-Feuilles.

En parallèle, les institutions de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (GAFI, OFAC, etc.) intensifient leur surveillance sur les transferts bancaires, notamment ceux transités par les banques dominicaines et haïtiennes.

Cette dynamique pourrait également renforcer la société civile haïtienne, les ONG et les forces de sécurité locales, à condition que les moyens matériels suivent. « Il faut saisir cette désignation pour reconstruire les bases de la légitimité en Haïti », souligne un diplomate européen. « Il n’y aura pas de paix sans un appareil judiciaire fonctionnel, des élections crédibles, et une vraie capacité d’intervention contre les groupes armés. »

En qualifiant Viv Ansanm et Gran Grif d’organisations terroristes, les États-Unis posent un jalon crucial dans la crise haïtienne. Mais cette décision n’aura d’effet durable que si elle s’accompagne d’un engagement diplomatique, militaire et humanitaire soutenu. Dans le cas contraire, elle ne sera qu’une étiquette de plus sur une tragédie déjà trop longtemps ignorée.

« Le monde observe, mais l’histoire jugera », conclut Jim Grant. « Si nous échouons à agir, ce n’est pas seulement Haïti que nous condamnons, c’est notre propre humanité. »