Jean Max Choute : Frédéric, le miroir de l’Haïti profonde sur la TNH…

Par Jude Martinez Claircidor

PORT-AU-PRINCE, vendredi 16 mai 2025 (RHINEWS)-Dans les replis verdoyants de l’Haïti profonde, là où le souffle des matins s’enroule autour des cases en paille et où les flamboyants veillent en silence, une voix éclatait de malice : celle de Frédéric. Incarné avec une vivacité rare par Jean Max Choute dans le feuilleton légendaire La Vi nan Bouk, diffusé sur les ondes de la Télévision Nationale d’Haïti (TNH) dans les années 1980, ce personnage a su capturer l’essence même du théâtre populaire haïtien. Ce rendez-vous hebdomadaire, devenu culte, transportait les foyers haïtiens au cœur de la ruralité, entre humour mordant et poésie du quotidien.

Né le 12 avril 1950 à Port-au-Prince, Jean Max Choute grandit dans une capitale vibrante, marquée par une effervescence culturelle. Très jeune, il développe un goût prononcé pour le théâtre, trouvant dans l’art de la scène un exutoire à sa verve naturelle. Ses premiers pas se font au sein de troupes locales dans les années 1970, où son charisme et son humour singulier ne tardent pas à se démarquer. Cette école de la rue et de l’authenticité lui ouvre les portes de la Télévision Nationale d’Haïti.

C’est en rejoignant la troupe de La Vi nan Bouk que Jean Max Choute, alias Frédéric, entre dans la légende. Ce feuilleton hebdomadaire, diffusé chaque vendredi à 13h00, dépeignait avec une tendre ironie le quotidien des campagnes haïtiennes. À l’instar de Languichatte, autre feuilleton phare du XXᵉ siècle, La Vi nan Bouk faisait bousculer les jeunes de l’époque chaque vendredi, qui s’asseyaient avec impatience pour le regarder. Dans de nombreux lieux publics où un téléviseur était installé, les foules se pressaient, créant une véritable communion autour de ces personnages.

Frédéric, personnage espiègle et débordant de malice, personnifiait la jeunesse paysanne, oscillant entre traditions et rêves de modernité. Sa guitare, fidèle compagne, rythmait les épisodes de ses chansons improvisées, ponctuées de réparties pleines de verve.

Son personnage, tendrement surnommé “Ti Lèzanj”, insufflait à chaque épisode une dose d’humour pétillant et d’authenticité désarmante, forgeant ainsi l’âme de La Vi nan Bouk. Jean Max Choute, à travers son interprétation magistrale, s’est érigé en pilier du théâtre haïtien, marquant de sa trace éternelle le développement de la scène artistique nationale.

Autour de lui gravitaient des figures iconiques : le sage et charismatique Papa Pyè, incarné avec brio par Jean-Claude Joseph, véritable symbole de la tradition et de la mémoire rurale ; le pragmatique et truculent Bòs Macèl, interprété par Saurel Charles, archétype du bon sens paysan ; et l’inénarrable Gracié, campé par Jacques Edmond, dont l’humour brut et sans fard illuminait chaque scène de sa sincérité désarmante.

L’alchimie parfaite entre ces personnages transcendait le simple cadre d’une série : La Vi nan Bouk s’imposait comme un véritable tableau vivant de la ruralité haïtienne, saisi avec une authenticité poignante par les caméras de Frantz Marcelin et Richard Stines, sous l’œil vigilant et la réalisation méticuleuse de Michel Louis-Charles. À travers leurs regards, les spectateurs n’assistaient pas à un simple récit télévisé, mais à l’éclosion d’un patrimoine culturel immortel.

Cependant, derrière cette gloire artistique et cette incarnation vivante de la culture haïtienne, se cachait une réalité plus sombre : celle d’un milieu artistique fragilisé, où la précarité économique poussait nombre d’artistes, Jean Max Choute en tête, à chercher refuge loin de leur terre natale.

À l’instar de nombreux compagnons de scène, Jean Max Choute fut contraint, au seuil des années 1990, de quitter Haïti pour s’exiler aux États-Unis, emporté par la double violence d’une dégradation sociale et économique profonde qui rendait l’exercice artistique non seulement précaire, mais souvent impossible à vivre dignement. Privé des moyens nécessaires à sa subsistance sur sa terre natale, il se lança dans une quête d’un horizon plus sûr. Pourtant, loin de renier ses racines, il demeura fidèle au théâtre populaire haïtien, perpétuant sur les planches l’âme et la verve qui avaient forgé son identité. Ce n’est qu’au début des années 2010 que la maladie de Parkinson vint progressivement affaiblir cette énergie bouillonnante, révélant le combat intime et silencieux d’un artiste confronté à une épreuve inéluctable.

À la fin du mois d’avril 2025, Frédéric, alors installé à New York, fut hospitalisé pendant deux semaines avant d’être transféré dans un centre de réhabilitation. Là, il lutta avec une dignité silencieuse, le regard tourné vers ses souvenirs d’Haïti, les yeux rivés sur cette terre qu’il n’avait jamais vraiment quittée dans son cœur. Le 7 mai 2025, à l’âge de 75 ans, Jean Max Choute s’éteignit, emportant avec lui un pan entier de la mémoire collective haïtienne.

Son décès vient s’ajouter à l’hémorragie silencieuse qui frappe les piliers de La Vi nan Bouk. Jacques Edmond, plus connu sous le nom de Gracié, s’était éteint en juillet 2015 en Floride, tandis que Jean-Claude Joseph, le légendaire Papa Pyè, tirait sa révérence le 18 octobre 2017 dans un hôpital d’Orlando. Désormais, c’est le trio mythique de La Vi nan Bouk qui repose dans l’éternité, laissant orpheline toute une génération marquée par leurs éclats de rire, leurs leçons de vie et la poésie brute de la ruralité haïtienne. Avec la disparition de Jean Max Choute, c’est une page de cette fresque théâtrale qui se tourne, emportant avec elle les rires partagés et les souvenirs immortels.

À l’annonce de sa disparition, Jean Garry Denis, Directeur Général du Ministère de la Culture et de la Communication, a rendu hommage à « un véritable artisan de la culture haïtienne, un homme dont le talent a profondément renforcé les valeurs familiales au cœur du monde rural, qui, malgré la distance géographique, n’a jamais cessé de travailler pour Haïti, est resté attaché à toutes ses valeurs et a porté son pays dans son cœur ».

Un héritage célébré et immortalisé. En reconnaissance de leur contribution exceptionnelle à la culture haïtienne, Jean Max Choute et ses collègues de La Vi nan Bouk furent honorés lors de la quatrième édition des MPAH Haitian Movie Awards en 2014. Lors de cette cérémonie, les acteurs principaux, dont Jean Max Choute (Frédéric), Jean-Claude Joseph (Papa Pyè), Saurel Charles (Bòs Macèl) et Jacques Edmond (Gracié), reçurent le Prix d’Excellence pour leur rôle dans cette série.

L’année suivante, en 2015, après plus de trente ans d’absence, Jean Max Choute et ses compagnons de scène retournèrent en Haïti. Ils furent chaleureusement accueillis au ministère de la Culture, où un hommage spécial leur fut rendu au Ciné Triomphe. Cette cérémonie, empreinte d’émotion, permit aux fans de renouer avec ces artistes qui avaient marqué leur jeunesse, et aux acteurs de partager leurs souvenirs et leur passion pour le théâtre haïtien

En ces temps de crises profondes, tant sur le sol haïtien qu’à l’échelle planétaire, où les incertitudes pèsent sur les épaules des communautés, le rire demeure un rempart vital, une lumière fragile mais tenace qui éclaire les ténèbres. Jean MaxChoute, à travers l’âme légendaire de Frédéric dans La Vi nan Bouk, a su incarner cette résilience joyeuse et porteuse d’espoir qui fait vibrer l’âme haïtienne. Son héritage, tout comme celui de ses compagnons de scène, demeure un trésor inestimable, un baume réparateur pour les cœurs meurtris et un puissant vecteur de cohésion sociale.

Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif de valoriser et d’encourager les nouveaux talents humoristiques, tels que Gaëlle Bien-Aimé, Guy Régis Jr, David Mezy, James Fleurissaint, Zuma Jasmine Angela Lavertu et AndrisePierre……. qui perpétuent cette tradition d’humour et de résistance culturelle. Leur art, incarnation moderne de cette force intérieure, offre un souffle vital aux Haïtiens, en quête d’équilibre et de solidarité face aux défis multiformes