Fête des Mères sous le sceau de l’autonomisation : l’AMECEF et ses partenaires au chevet des mères célibataires

Par Jude Martinez Claircidor

PORT-AU-PRINCE, dimanche 25 mai 2025. En ce jour de fête des Mères, alors que l’ombre des violences gangrenant la capitale continue de peser sur les quartiers populaires, une lumière discrète mais forte a jailli du Centre Culturel Brésil-Haïti, à Pétion-Ville. Là, près d’une quarantaine de mères célibataires, issues de l’Association des Mères Célibataires La Félicité (AMECEF), ont été honorées à la fois par leurs enfants et par la société civile. À travers la remise de bons de commande pour la création ou le renforcement de microentreprises et d’humbles présents offerts par leurs enfants, cette journée fut autant un geste de reconnaissance qu’un acte de résistance sociale.

Organisée autour du thème « Une mère, une vie », cette activité co-portée par l’AMECEF, la Fondation Cœur pour Haïti et la Fondation Lorquet pour une Nouvelle Haïti(FOLONHA) a dépassé le simple hommage rituel. Elle a révélé les lignes de faille d’un pays où la maternité, surtout lorsqu’elle s’exerce dans la solitude, devient un terrain de luttes multiples : économique, affective, identitaire, voire existentielle.

En Haïti, élever seule un enfant relève d’un combat quotidien mené à mains nues contre l’effondrement des structures familiales, la précarité chronique et la terreur ordinaire des armes. L’absence paternelle, loin d’être une exception, s’inscrit dans une normalité brutale que viennent aggraver le chômage endémique, l’insécurité alimentaire rampante et la fragmentation des liens sociaux. Dans cet archipel de détresse, les mères célibataires ne sont pas de simples génitrices : elles cumulent les fonctions de pourvoyeuses, de protectrices, de pédagogues et d’économistes du bord de rue. Elles inventent chaque jour les gestes de la survie, cousant, marchant, marchant encore — pour conjurer l’effondrement, pour tenir debout le fragile édifice de la dignité.

« L’AMECEF est née de cette nécessité de créer un espace de solidarité et d’autonomisation », a rappelé Madame Wyphalda Jean, présidente de l’association, lors de sa prise de parole. Reconnue par le Ministère des Affaires Sociales et du Travail, l’organisation s’est donnée pour mission de soutenir ces femmes à travers des accompagnements psychosociaux, des formations et des mécanismes d’insertion économique. Avec le soutien de ses partenaires, l’AMECEF prévoit prochainement un encadrement en gestion de microentreprises afin de pérenniser les efforts initiés ce dimanche.

Lors de leurs témoignages empreints d’émotion, plusieurs femmes membres de l’AMECEF ont exprimé avec dignité leur attachement profond à cette structure qui, au-delà de l’accompagnement moral, leur ouvre les portes du petit commerce. Pour ces mères souvent livrées à elles-mêmes dans un pays en crise permanente, intégrer cette organisation, c’est retrouver une dignité sociale, mais surtout accéder à une forme d’autonomie économique, indispensable pour nourrir, éduquer et protéger leurs enfants dans un environnement hostile.

Dans une vidéo émouvante projetée pendant l’événement, Johan Smoorenburg, directeur de la Fondation Cœur pour Haïti, s’est adressé à l’assemblée depuis les Pays-Bas. Évoquant son départ précipité d’Haïti avec son épouse haïtienne en raison de la montée des violences, il a exprimé son attachement immuable au pays. « Mon cœur est resté ici, notamment auprès des femmes déplacées, déracinées, dont les maisons ont parfois été brûlées par la cruauté des incendies. Leur résilience m’inspire. » Son message, loin de toute condescendance humanitaire, portait le poids d’une solidarité sincère, incarnée et continue.

De son côté, Joël Lorquet, président de la FOLONHA, a insisté sur la responsabilité éducative des mères et son impact sur la société. « L’éducation commence dans le ventre de la mère, et trop de jeunes aujourd’hui grandissent sans repères, sans tendresse, sans guide. C’est aussi à cause de cela que notre pays se consume. »

Entre les prières ferventes, les poèmes récités, les chants portés par les artistes du collectif BEIMAC Groupe, et les larmes discrètes de femmes fatiguées mais debout, c’est tout un manifeste social qui s’est exprimé : celui de mères que l’État oublie, mais qui, à force de volonté et de foi, deviennent les architectes silencieuses d’une Haïti qui tient encore debout.

Avec plus de 350 membres, l’AMECEF s’impose désormais comme un laboratoire de transformation sociale. Loin des grands programmes d’aide souvent désincarnés, elle s’ancre dans le vécu quotidien des femmes, dans la terre brisée des quartiers, et dans la promesse d’un demain qui s’écrira au féminin, dans l’action et non plus dans l’attente.

L’animation de cette journée riche en émotions et en symboles a largement bénéficié de l’engagement remarquable de deux figures incontournables de la communication en Haïti. Lucien Jura, journaliste émérite et voix respectée des médias haïtiens, ainsi qu’Yves Patrice Merisier, autre grand professionnel de la communication, ont su porter avec brio le fil conducteur de cette cérémonie. Tous deux, membres actifs de la structure de coordination de l’AMECEF, ont insufflé une dynamique vivante et chaleureuse à l’événement, contribuant à faire résonner haut et fort le message d’autonomisation et d’espoir que porte cette organisation.