Par Jude Martinez Claircidor
SAINT-DOMINGUE, jeudi 1er mai 2025 (RHINEWS)-Le 30 avril 2025, dans une atmosphère empreinte de solennité et d’opportunités diplomatiques, le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Sergueï Lavrov, a foulé le sol de Saint-Domingue, capitale de la République dominicaine, marquant ainsi une première historique dans les relations bilatérales entre Moscou et ce pays caribéen. Cette visite, qui coïncidait avec le 80e anniversaire de l’établissement officiel des relations russo-dominicaines, a donné lieu à l’inauguration de la nouvelle ambassade de Russie à Santo Domingo, à des entretiens approfondis sur le commerce, le tourisme, la coopération multilatérale… et à une série de gestes forts révélateurs d’un tournant multipolaire dans les relations internationales actuelles.
Mais à quelques centaines de kilomètres de là, un silence stratégique interroge : Haïti, pays frontalier avec la République dominicaine, est resté spectateur — voire indifférent — à cette manœuvre diplomatique d’envergure. Alors même que ses relations officielles avec la Russie existent depuis le 2 juin 1996, soit près de 29 ans, aucune initiative n’a été prise par Port-au-Prince pour profiter de cette visite de haut niveau. Ce silence contraste avec les signaux clairs émis par Moscou en direction de la Caraïbe, comme en témoigne le rôle croissant de la Russie dans les enceintes régionales, telles que l’Association des États de la Caraïbe ou, bientôt peut-être, le Système d’intégration centraméricain.
La République dominicaine, en recevant Lavrov, ne s’est pas contentée d’un exercice de courtoisie diplomatique. Elle s’est affirmée comme un partenaire stratégique de la Russie dans la région, tissant avec soin un maillage de coopération dans les domaines du commerce, du tourisme, de la formation universitaire, de l’échange culturel et même des affaires multilatérales à l’ONU. En clair, Santo Domingo a su capitaliser sur une visite rare pour structurer sa position dans l’échiquier multipolaire émergent.
Haïti, en revanche, semble s’être volontairement exclue de cette dynamique. Ni message officiel, ni prise de contact bilatérale, ni proposition de coopération sectorielle n’ont été signalés. L’absence d’un sursaut diplomatique haïtien, au moment même où les BRICS — cette coalition alternative aux puissances occidentales — s’étendent et renforcent leurs ponts avec le Sud global, traduit une stratégie nationale anémique et inerte.
L’un des éléments les plus significatifs de cette visite est sans doute le lien qu’elle entretient avec les récents développements au sein des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), dont Lavrov revenait tout juste après une réunion ministérielle à Rio de Janeiro. Lors de ses échanges avec son homologue dominicain, Lavrov a clairement exposé les perspectives offertes par le nouveau paradigme multipolaire, y compris aux États partenaires non membres. Il a été question d’opportunités d’investissement, de mécanismes de financement hors du dollar, de projets éducatifs et d’un soutien multilatéral renforcé pour les pays du Sud.
À ce titre, Haïti aurait pu – et dû – se positionner comme État observateur ou partenaire privilégié de ce bloc en pleine expansion. Dans un contexte national marqué par une grave crise institutionnelle, économique et sécuritaire, l’ouverture vers les BRICS aurait offert à Port-au-Prince une alternative crédible et stratégique aux circuits traditionnels d’aide et de coopération dominés par l’Occident, lesquels se montrent souvent plus conditionnels et restrictifs.
Pourquoi Haïti reste-t-elle à l’écart ? Plusieurs hypothèses s’imposent : un appareil diplomatique affaibli, un alignement tacite sur les positions de Washington, ou encore une méconnaissance des enjeux géoéconomiques à long terme. Mais quel que soit le motif, l’inaction haïtienne est d’autant plus paradoxale que le pays partage une île avec un voisin qui, lui, avance à grands pas vers la diversification de ses alliances stratégiques.
Il y a là une leçon de realpolitik que les élites haïtiennes gagneraient à méditer. Car pendant que Lavrov jetait les bases d’une coopération bilatérale ambitieuse avec la République dominicaine — accompagnée de projets concrets de forum d’affaires, de bourses universitaires et d’échanges sans visa — Haïti s’enfonçait dans une posture passive, comme si le monde en transformation ne la concernait plus.
Il est encore temps, toutefois, pour Port-au-Prince de corriger le tir. Une diplomatie plus proactive, tournée vers les pays émergents et moins soumise aux paradigmes traditionnels de dépendance, pourrait ouvrir de nouveaux horizons pour l’économie haïtienne : développement d’infrastructures, diversification des partenaires commerciaux, création d’emplois par des investissements étrangers directs, soutien à l’agriculture, à l’énergie ou aux télécommunications via les canaux BRICS.
Refuser de participer à cette redéfinition des équilibres internationaux, c’est prendre le risque de rester enfermé dans la périphérie des nations, loin des pôles d’influence et des dynamiques de coopération innovantes.
Il convient de rappeler qu’un ambassadeur de l’IMBRICS pour Haïti, en la personne de Monsieur Monel Calherbe, a été officiellement nommé par le ministère russe des Affaires étrangères. Cette nomination s’inscrit dans une volonté stratégique de rapprocher Haïti des pays membres des BRICS et de renforcer les échanges et la coopération Sud-Sud. À cet effet, Monsieur Calherbe a constitué une équipe active sur le territoire haïtien et multiplie d’ores et déjà des initiatives en vue d’inscrire Haïti dans cette dynamique géopolitique émergente.