La guerre des titans : Trump et Musk se déchirent

Donald Trump, président des États-Unis – Elon Musk, patron de Tesla

WASHINGTON, vendredi 6 juin 2025 — Ce qui semblait être l’une des alliances les plus surprenantes et stratégiques de la dernière décennie a implosé en plein vol. Donald Trump et Elon Musk, deux figures emblématiques de l’Amérique contemporaine, ont vu leur collaboration virer à une querelle publique d’une rare intensité. À l’intersection de l’économie, de la politique et de l’ego, cette rupture expose de manière brutale les fragilités du pouvoir dans une nation où les milliardaires rivalisent parfois avec les institutions républicaines.

Elon Musk, PDG de Tesla, SpaceX, Neuralink et d’autres fleurons technologiques, avait apporté un soutien financier et symbolique massif à la campagne présidentielle de Trump en 2024. En retour, Musk espérait une influence directe sur les politiques industrielles, énergétiques et technologiques du pays. Trump y voyait un allié de poids : prestigieux, populiste, médiatique et apte à incarner une forme de renouveau technocratique au sein de l’État. L’apogée de leur entente fut la création du « Département de l’Efficacité Gouvernementale » (DOGE), confié à Musk, un poste sur mesure destiné à « rationaliser » les dépenses publiques et à réduire ce que les deux hommes appelaient les « poches d’inefficacité bureaucratique ».

Mais cette lune de miel fut de courte durée. Musk a publiquement torpillé le « Big Beautiful Bill », programme de relance pharaonique de Trump, censé soutenir les infrastructures et le secteur de la défense. Qualifiant le projet d’« abomination budgétaire », Musk a accusé Trump de creuser dangereusement le déficit public, d’alimenter une bulle de dette et de mettre en péril la stabilité macroéconomique. Il a même prédit une récession d’ici fin 2025, si ce plan venait à être mis en œuvre sans révisions majeures.

Furieux, Trump a immédiatement répliqué. Se disant trahi, il a menacé de révoquer tous les contrats fédéraux en cours avec les entreprises de Musk, et a ordonné à plusieurs agences fédérales — y compris le DOJ et la SEC — d’ouvrir des enquêtes sur Tesla, SpaceX et Neuralink. Musk, piqué au vif, a contre-attaqué avec virulence, parlant d’« ingratitude pathétique », allant jusqu’à suggérer des liens compromettants entre Trump et Jeffrey Epstein — une attaque d’une rare violence dans le paysage politique américain.

Les réseaux sociaux ont immédiatement embrasé la querelle. Sur X (anciennement Twitter), les deux hommes ont échangé piques, insinuations et moqueries, dans une escalade digne d’un soap opera politique. Des mèmes viraux, des montages vidéo satiriques et des débats enflammés ont envahi Internet, rendant la dispute impossible à ignorer, même en dehors des cercles politisés.

Mais les conséquences vont bien au-delà du tumulte médiatique :

  • L’action de Tesla a chuté de 14 %, effaçant près de 150 milliards de dollars de capitalisation boursière en quelques jours. Musk a vu sa fortune personnelle fondre de 34 milliards, ramenant son patrimoine à environ 335 milliards de dollars.
  • Les investisseurs redoutent que la rupture n’affecte durablement les contrats stratégiques avec l’État : SpaceX dépend de la NASA et du Pentagone pour ses activités spatiales et satellitaires, tandis que Starlink est de plus en plus essentiel aux communications de défense.
  • Des analystes évoquent la possibilité d’un désengagement progressif de l’État fédéral, ou du moins une suspension de certaines aides, ce qui mettrait en péril les ambitions long terme de Musk dans le domaine de l’IA, de l’aéronautique et de l’énergie.

Sur le plan politique, cette rupture marque un tournant potentiellement historique. Musk envisagerait de fonder un mouvement politique indépendant, à la fois centriste, technophile et libéral, capable de concurrencer un Parti républicain de plus en plus dominé par les réseaux pro-Trump. Ce « nouveau courant muskien », s’il voit le jour, pourrait recomposer les lignes de fracture du conservatisme américain dès les élections de mi-mandat en 2026.

Mais un paradoxe demeure : malgré leurs tensions, les États-Unis restent largement dépendants des infrastructures de Musk. Les satellites de Starlink sont devenus essentiels au fonctionnement de plusieurs réseaux de défense, et la NASA repose quasi exclusivement sur les lanceurs de SpaceX pour ses programmes habités. Même en cas de sanctions, le gouvernement n’a pour l’instant aucune alternative de substitution viable à court terme.

Loin d’appeler au calme, Steve Bannon, fidèle allié de Trump, a jeté de l’huile sur le feu. Il a exigé que l’administration saisisse SpaceX en invoquant le Defense Production Act et qu’elle ouvre une enquête sur le statut d’immigration de Musk, allant jusqu’à réclamer sa déportation immédiate. Ces prises de position extrêmes, relayées par la droite radicale, ont encore durci le ton entre les deux camps.

Malgré cette escalade, des voix au sein de l’establishment républicain appellent à une désescalade. Musk n’a pas explicitement proposé une réconciliation, mais ses récentes réponses sur X à des appels à la désescalade laissent entrevoir une volonté de calmer les tensions.

Trump, lui, campe sur une ligne dure en public, mais ses proches laissent entrevoir la possibilité d’une trêve, au moins tactique, afin de préserver les intérêts supérieurs de la nation.

En définitive, la rupture Trump-Musk dépasse la simple querelle entre deux egos géants. Elle révèle l’ampleur des déséquilibres créés par la confusion croissante entre pouvoir économique et pouvoir politique. Dans une démocratie où les individus fortunés peuvent façonner les orientations nationales, les affrontements personnels peuvent devenir des crises d’État. Qu’une réconciliation ait lieu ou non, cette querelle laissera une cicatrice profonde dans l’imaginaire politique américain, rappelant à tous que la concentration du pouvoir entre les mains de quelques hommes — même brillants — constitue l’un des défis les plus pressants du XXIe siècle.