“Code noir : vestige de la déshumanisation coloniale, enfin abrogé 177 ans après l’abolition de l’esclavage et 340 ans après sa promulgation”

photo: franceinfo/image illustrant l'esclavage...

PARIS, vendredi  mai 2025 (RHINEWS) Plus de trois siècles après sa promulgation par Louis XIV en 1685, et 177 ans après l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, le Code noir, texte juridique fondateur de l’asservissement colonial, pourrait enfin être formellement abrogé. Le mardi 13 mai 2025, le Premier ministre français François Bayrou a annoncé devant l’Assemblée nationale qu’un texte de loi serait bientôt présenté au Parlement pour abroger officiellement le Code noir, après une interpellation du député Laurent Panifous (LIOT).

« Si le Code noir n’a pas été aboli en 1848, il faut qu’il le soit. Il faut que nous ayons la volonté, la capacité, le choix de réhabilitation historique pour réconcilier la République avec elle-même », a déclaré François Bayrou dans l’hémicycle, reconnaissant « absolument » avoir ignoré cette réalité juridique.

Le Code noir, ou Édit du roi, légiférait l’esclavage dans les colonies françaises, réduisant des millions d’Africains au statut de « biens meubles », les privant de liberté, leur imposant la religion catholique et les exposant à des sanctions physiques sévères. Ce texte est resté intact dans le droit français, malgré les deux abolitions successives de l’esclavage — en 1794 et en 1848 — et son impact symbolique n’a jamais été réparé.

L’historien Marcel Dorigny rappelle que la France a déporté environ 1,3 million d’Africainsvers ses colonies d’Amérique et de l’océan Indien. Près de 200 000 d’entre eux sont morts durant la traversée de l’Atlantique dans des conditions inhumaines, et plusieurs centaines de milliers d’autres ont péri sous les coups, les maladies et les privations, sur les plantations coloniales.

L’esclavage a duré près de deux siècles et demi dans les territoires français, de 1685 à 1848. Sa légitimation juridique par le Code noir constitue aujourd’hui encore une tache indélébile sur l’histoire républicaine, comme l’a rappelé le Premier ministre lors de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai dernier. « Il ne faut pas se taire face à l’histoire terrible et monstrueuse de l’esclavage », a-t-il insisté.

Dans un article publié le 14 mai 2025, le Financial Times note que cette décision de François Bayrou intervient dans un contexte de prise de conscience mondiale croissante sur les injustices historiques. Le journal souligne que l’abolition formelle du Code noir serait un geste fort vers la reconnaissance des souffrances des esclaves et de leurs descendants, et un jalon nécessaire pour construire une société plus juste.

Mais au-delà du symbole, plusieurs voix exigent des réparations concrètes. Haïti, ancienne colonie française devenue indépendante en 1804 après une révolution d’esclaves menée par Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines, fut contrainte par la France à payer une indemnité de 150 millions de francs-or — l’équivalent de 21 milliards d’euros actuels — en échange de la reconnaissance de son indépendance.

Cette rançon de l’indépendance, exigée sous la menace d’un blocus militaire et de représailles armées, a saigné l’économie haïtienne pendant plus d’un siècle, condamnant le pays à un endettement chronique, à la dépendance et au sous-développement. De nombreux économistes, dont Thomas Piketty, y voient une cause structurelle majeure de la précarité haïtienne contemporaine.

Alors que l’Assemblée nationale s’apprête à examiner un texte historique pour tourner juridiquement la page du Code noir, plusieurs organisations militantes, dont le CRAN(Conseil représentatif des associations noires de France), appellent à reconnaître pleinement les responsabilités de l’État français dans la traite et l’exploitation colonialeet à ouvrir un véritable processus de réparation mémorielle et économique.

« L’abrogation du Code noir ne suffit pas si elle ne s’accompagne pas d’un engagement clair à réparer les injustices qu’il a légalisées », a déclaré Patrick Lozès, ancien président du CRAN.

Le texte de loi devrait être présenté d’ici l’été 2025. Tous les groupes parlementaires ont d’ores et déjà exprimé leur soutien à un vote unanime.

Chronologie : Le Code noir et l’esclavage dans les colonies françaises

1685 – Promulgation du Code noir par Louis XIV. Ce texte légifère l’esclavage dans les colonies françaises des Antilles, réduit les personnes noires au statut de biens meubles, impose la conversion au catholicisme et autorise les châtiments corporels.

1723 – Extension du Code noir aux Mascareignes (île Bourbon – actuelle Réunion, île de France – actuelle Maurice).

1724 – Extension du Code noir à la Louisiane française.

1794 – Première abolition de l’esclavage par la Convention nationale durant la Révolution française.

1802 – Rétablissement de l’esclavage par Napoléon Bonaparte dans les colonies françaises, sans toutefois rétablir explicitement le Code noir.

1804 – Indépendance d’Haïti, première république noire du monde. La France refuse de la reconnaître jusqu’en 1825.

1825 – Le roi Charles X impose à Haïti une indemnité de 150 millions de francs-or, en échange de la reconnaissance de son indépendance, pour « dédommager les anciens colons français ».

1848 – Abolition définitive de l’esclavage en France et dans ses colonies, par décret de Victor Schœlcher sous la Deuxième République.

1849 – 2024 – Bien que l’esclavage ait été aboli, le Code noir n’est jamais formellement abrogé, demeurant dans les archives juridiques françaises.

13 mai 2025 – Le Premier ministre François Bayrou annonce la présentation prochaine d’un projet de loi visant à abroger officiellement le Code noir, à l’Assemblée nationale.