Haïti – Journée latino-américaine de la presse : une célébration sombre dans un pays où l’information est prise en otage…

PORT-AU-PRINCE,  samedi 7 juin 2025 (RHINEWS) –À l’occasion de la Journée latino-américaine de la presse, célébrée chaque 7 juin dans plusieurs pays de la région, les journalistes haïtiens n’ont guère le cœur à la fête. Cette journée symbolique, censée honorer le rôle fondamental de la presse dans la démocratie, coïncide une fois de plus en Haïti avec un climat de peur, de terreur, de régression et de délitement profond du paysage médiatique national. Dans un contexte de violences armées, de désinformation massive et de dévalorisation professionnelle, les travailleurs de l’information affrontent une réalité de plus en plus invivable, sans soutien ni garantie institutionnelle.

Instituée à la suite de mobilisations pour la liberté d’expression à travers l’Amérique latine, la Journée latino-américaine de la presse vise à défendre l’indépendance des journalistes, exiger des conditions de travail décentes et renforcer la démocratie à travers un accès libre et équitable à l’information. En Haïti, cette date revêt un sens particulier. Historiquement, la presse haïtienne a accompagné toutes les grandes étapes de la vie nationale : chute de dictatures, alternances politiques, luttes citoyennes. Pourtant, en 2025, elle se retrouve piégée dans une spirale descendante où l’information est prise en otage.

Depuis plusieurs années, le pays est confronté à une insécurité chronique marquée par la montée en puissance de groupes armés lourdement équipés, contrôlant de vastes portions du territoire. Ces groupes, souvent soutenus par des figures politiques ou des acteurs du secteur privé, menacent directement les journalistes. Les témoignages de professionnels ciblés, harcelés ou contraints de fuir leur lieu de travail ou de résidence se multiplient. Nombreux sont ceux qui reçoivent des messages vocaux d’intimidation, parfois accompagnés de photos compromettantes, et vivent dans la crainte constante d’un enlèvement ou d’un assassinat.

Cette insécurité limite drastiquement le champ d’action des journalistes. De vastes zones géographiques, notamment dans la région métropolitaine et l’Artibonite, sont devenues inaccessibles pour les reporters. Le journalisme de terrain est moribond, la collecte d’informations sur place rendue impossible, et les médias ne peuvent souvent que relayer des informations de seconde main, partielles ou invérifiables. L’information rigoureuse s’efface au profit de rumeurs ou de versions officielles biaisées. Le droit du public à l’information est directement bafoué, et la démocratie privée d’un de ses fondements essentiels.

Mais la violence armée n’est pas la seule menace pesant sur la presse haïtienne. À cette crise sécuritaire s’ajoute une déliquescence du système médiatique dans son ensemble. De plus en plus d’individus, sans formation ni culture journalistique, s’improvisent reporters ou commentateurs à travers les réseaux sociaux. Leurs productions, souvent imprégnées de propagande, de diffamation ou de manipulation, envahissent l’espace numérique et noient les contenus produits selon les règles de l’art. Dans ce chaos informationnel, la frontière entre faits, rumeurs et intoxication devient floue. L’opinion publique, désorientée, est continuellement manipulée.

Ce phénomène est aggravé par l’absence de mécanismes de régulation efficaces. Les institutions appelées à veiller à l’éthique journalistique ou à encadrer la profession — qu’il s’agisse de l’État, des associations de presse ou des écoles de journalisme — restent passives ou impuissantes face à l’ampleur du problème. La désorganisation du secteur médiatique a conduit à une perte de crédibilité générale. La presse sérieuse est marginalisée, tandis que les producteurs de contenus sensationnalistes ou partisans gagnent en influence. La parole responsable est concurrencée, voire étouffée, par les éructations virales.

À cela s’ajoute un climat général d’impunité. Les menaces, agressions ou assassinats de journalistes ne font l’objet d’aucune suite judiciaire. Les responsables restent libres, parfois même protégés par leurs connexions politiques. Cette absence de justice contribue à l’autocensure croissante. De nombreux journalistes évitent désormais certains sujets ou abandonnent la profession. Le risque est trop grand, les moyens trop faibles, et la reconnaissance quasi inexistante.

Face à cet effondrement progressif, des voix commencent à s’élever pour appeler à un redressement structurel du secteur. Il devient urgent, selon plusieurs professionnels du milieu, de mettre en place un cadre réglementaire strict pour distinguer le journalisme professionnel de la production de contenus non vérifiés. La formation, l’accréditation, la protection des journalistes, mais aussi la régulation des médias sociaux doivent être au cœur d’une refondation du paysage médiatique. Des institutions autonomes, appuyées par des mécanismes nationaux et internationaux, sont nécessaires pour faire respecter les normes et restaurer la confiance du public.

Le défi est immense, d’autant plus que l’État haïtien, miné par l’instabilité et les alliances douteuses, ne manifeste aucune volonté politique de sauver la presse. Pourtant, sans presse libre, il ne peut y avoir d’État de droit. Sans journalistes en mesure de documenter, d’alerter, de décrypter, la population est livrée à la peur, à l’ignorance et à la propagande. La célébration du 7 juin ne peut donc être une simple commémoration. Elle doit être une alarme. Un appel à la résistance contre l’effondrement en cours. Une invitation à bâtir les conditions d’une presse libre, responsable et protégée.

Car en Haïti, aujourd’hui, la liberté de la presse est bien plus qu’un principe abstrait. C’est une ligne de front. Et elle est en train de céder.