Haïti face à l’axe du crime organisé : sans récit stratégique, pas de victoire contre les terroristes…

Jimmy 'Barbecue'' Cherizier, chef du ''G-9 an Fanmi e Alye'' lourdement arme...

Éditorial,

PORT-AU-PRINCE, jeudi 8 mai 2025, (RHINEWS)-L’administration américaine, sous la présidence de Donald Trump, vient de franchir un pas décisif en désignant officiellement les groupes armés haïtiens Gran Grif et Viv Ansanmcomme des organisations terroristes internationales. Cette qualification, attendue depuis longtemps par de nombreux acteurs de la société civile haïtienne et au-delà des frontières d’Haiti, représente une occasion historique pour le gouvernement haïtien de relancer la lutte contre l’impunité criminelle. Mais à condition de ne pas se contenter d’applaudir l’initiative de Washington. Le véritable défi consiste désormais à construire une narration cohérente et stratégique qui expose clairement la nature conspirationnelle de ces groupes et leur réseau de soutien, qui a des racines multiples et dans de nombreux secteurs. Sans cela, l’État risque de perdre une fenêtre géopolitique rare et précieuse, et de trahir l’espérance des citoyens.

Le premier élément fondamental que le gouvernement doit intégrer dans sa communication et son action est la reconnaissance du fait que Gran Grif et Viv Ansanm ne sont pas de simples gangs urbains en quête de territoire. Ils incarnent le noyau d’une vaste entreprise criminelle d’ampleur transnationale, enracinée dans une économie parallèle mêlant trafic de drogue, d’organe, d’armes, de munitions extorsion, kidnapping, corruption politique, blanchiment d’argent et infiltration des institutions publiques, notamment les forces chargées d assurer la sécurité des vies et des biens. L’opinion haïtienne ne sera convaincue d’un engagement véritable du gouvernement que si ce dernier démontre, preuves à l’appui, que ces groupes sont les bras armés d’un réseau structuré visant la déstabilisation total du pays en y installant le chaos et la terreur.

Or, depuis l’annonce américaine, le gouvernement haïtien n’a produit que des déclarations de soutien diplomatique. Il n’a pas encore su traduire l’alignement géopolitique en action narrative. Le silence stratégique en matière de communication nuit gravement à la mobilisation nationale nécessaire pour que la population adhère pleinement à l’effort de démantèlement. Un gouvernement qui ne nomme pas clairement les forces internes et externes qui alimentent le chaos perd toute capacité d’entraînement. Le peuple haïtien, pris en otage, a besoin de savoir qui sont les complices politiques, économiques et institutionnels de ces groupes armés. Où sont les comptes rendus ? Où sont les mandats d’arrêt ? Où sont les dénonciations ciblées ?

En outre, la communication officielle ne doit pas se limiter à réagir aux positions étrangères. L’heure est venue pour l’État de reprendre le contrôle du récit national. Cela suppose une documentation précise, continue, vulgarisée, et juridiquement orientée, sur le fonctionnement de l’écosystème criminel dans lequel s’inscrivent ces groupes terroristes. Les services de renseignement doivent identifier les ramifications économiques de Viv Ansanm et de Gran Grif : stations d’essence contrôlées, flux financiers suspects, zones franches corrompues, relais dans la classe politique et dans les ONG. Il ne s’agit pas uniquement de combattre militairement : il faut aussi détruire la légitimité sociale de ces groupes, déconstruire leurs discours populistes, démagogiques sous-couvert de « révolution », et révéler leurs sponsors.

En parallèle, le gouvernement ne pourra avancer sans une réorientation stratégique de la diplomatie haïtienne. Si les États-Unis ont désigné ces groupes comme terroristes, c’est aussi à l’ONU, à l’OEA, à la CARICOM, à l’Union Européenne et à l’Union Africaine que le gouvernement haïtien doit faire valoir cette lecture du problème. Une guerre de reconquête territoriale, sans cadre juridique international, sans demande officielle de sanctions ciblées contre les facilitateurs et les complices, sera vouée à l’échec. Il ne suffit pas de bénéficier d’une solidarité conjoncturelle. Il faut institutionnaliser l’isolement de ces organisations et leurs réseaux soutien de au plan mondial.

La société civile haïtienne attend depuis des mois, voire des années, que le gouvernement cesse de banaliser la terreur quotidienne. Les déclarations creuses ne suffisent plus. Les funérailles d’État après chaque massacre, notamment de policiers et de militaires ne remplacent pas la justice. L’indignation sélective ne saurait substituer à une stratégie globale. À ce jour, aucun plan national de lutte antiterroriste n’a été publié. Aucun programme d’éducation civique sur la menace sécuritaire n’a été lancé. Aucun audit des institutions infiltrées n’a été rendu public. Sans ces gestes de rupture, comment convaincre que le pouvoir est réellement engagé dans une bataille existentielle pour la survie de la nation ?

Ce vide narratif profite directement aux terroristes et leurs comparses. Leur stratégie est fondée sur la peur, la confusion et la manipulation. En ne leur opposant pas un récit fort, structuré, moralement supérieur, le gouvernement laisse le terrain libre à la propagande criminelle. La jeunesse désœuvrée, les déplacés, les petits commerçants rackettés, faute de protection et de vérité, finissent parfois par considérer ces groupes comme des formes alternatives de pouvoir. C’est cette guerre de sens que l’État est en train de perdre. Depuis plusieurs mois, des terroristes occupent la commune de Carrefour. Ils rackettent la population qui ne réagit pas. Leur présence parmi la population prend la forme d’une cohabitation normale en absence des forces de l’ordre et des institutions chargées de faire appliquer la loi.

Enfin, il faut souligner que cette inertie narrative, si elle persiste, pourrait anéantir une opportunité diplomatique sans précédent. Jamais auparavant les États-Unis n’avaient inclus des gangs haïtiens dans leur classification officielle de menaces terroristes internationales. Ce geste peut ouvrir la voie à une coopération renforcée, à des sanctions ciblées, à des poursuites judiciaires à l’étranger contre les bailleurs de fonds des groupes armés. Encore faut-il que le gouvernement haïtien manifeste une volonté réelle d’exploiter cet appui stratégique. Faute de quoi, l’appareil d’État risque de passer à côté d’un moment décisif, et de condamner le pays à une prolongation indéfinie de sa descente aux enfers.

Le peuple haïtien n’attend pas des accolades diplomatiques, mais des actes. Il exige un gouvernement qui assume la gravité de la situation, qui nomme clairement les ennemis de la République, et qui mobilise toutes les ressources disponibles pour écraser la machine criminelle. La lutte contre Viv Ansanm et Gran Grif n’est pas qu’un enjeu sécuritaire. C’est une bataille pour la survie même de l’État haïtien. Il est temps de mener ce combat avec intelligence, détermination et une narration implacable.