WASHINGTON, vendredi 16 mai 2025— Le sort de Germine Joly, alias “Yonyon”, chef présumé du gang haïtien 400 Mawozo, est désormais entre les mains d’un jury fédéral à Washington, D.C., après une semaine de procès marquée par des témoignages poignants, des preuves accablantes, et des enjeux géopolitiques lourds. Accusé d’avoir orchestré l’enlèvement de 17 missionnaires (16 Américains et un Canadien) en octobre 2021 en Haïti, Joly pourrait passer le reste de sa vie en prison.
Le ministère de la Justice des États-Unis le tient pour responsable d’un “système de kidnapping bien huilé”, visant à obtenir rançon contre la vie d’otages. Le gang, selon les procureurs, était organisé de façon quasi militaire : des membres se relayaient pour surveiller les captifs, tandis que d’autres s’occupaient de leur approvisionnement en savon, brosses à dents et médicaments. « Il a volontairement rejoint ce crime avec l’intention de le réaliser », a affirmé la procureure Karen Seifert devant les 12 jurés lors des plaidoiries finales.
Joly était pourtant incarcéré dans une prison haïtienne au moment des faits. Les procureurs soutiennent cependant qu’il dirigeait les opérations à distance, avec pour objectif principal de faire pression sur les autorités haïtiennes, en particulier le Premier ministre de l’époque Ariel Henry, afin d’obtenir sa libération. Initialement, les ravisseurs ont exigé 17 millions de dollars pour la libération du groupe religieux affilié à Christian Aid Ministries. En fin de compte, une rançon de 350 000 dollars a été payée, ce que les autorités américaines ont reconnu pour la première fois publiquement.
Les témoignages au procès ont révélé les conditions dégradantes de détention : manque d’eau, absence de soins médicaux, menaces constantes. Un otage a souffert d’infections cutanées sévères, un autre a perdu l’usage de ses jambes. Certains captifs ont tenté de signaler leur détresse en agitant des messages “SOS” depuis un espace extérieur, espérant qu’un avion les aperçoive.
Parmi les témoins figurait Jean “Zo” Pelice, membre du 400 Mawozo extradé aux États-Unis, qui a affirmé que Joly considérait les otages comme un “billet de sortie de prison”. Un autre témoin, Jonas Isidor, a soutenu que Joly voulait un montant de rançon délibérément irréaliste pour faire durer la détention. La défense, conduite par Me Allen H. Orenberg, a tenté de discréditer leurs témoignages, invoquant leurs intérêts personnels, notamment des promesses d’avantages migratoires.
Me Orenberg a soutenu que la culpabilité de son client n’était pas prouvée, rappelant que les missionnaires eux-mêmes n’avaient jamais entendu le nom de Joly au cours de leur captivité. Il a désigné Lanmò Sanjou, cousin de Joly et actuel chef du gang, comme le véritable responsable. Selon lui, Joly n’était qu’un “spectateur”, déjà en détention et marginalisé par ses anciens associés.
Pourtant, les preuves matérielles s’accumulent : relevés d’appels entre Joly, Sanjou et Vitel’homme Innocent (chef du gang Kraze Barye), messages textuels montrant la coordination de l’opération, et implication de complices en Floride. L’une d’elles, Eliande Tunis, présentée comme la “reine” de Joly et cheffe de l’antenne floridienne du gang, aurait joué un rôle clé dans la logistique et la réception d’armes à feu.
L’enlèvement s’est déroulé le 16 octobre 2021 près de Ganthier, à l’est de Port-au-Prince. Les otages, dont cinq enfants, ont été interceptés sur la Route Nationale No. 8, battus, dépouillés et enfermés dans une maison sans fenêtres, tachée de sang et criblée de balles. Deux d’entre eux, Matthew et Rachel Miller, ont été libérés pour raisons médicales. Douze autres se sont échappés dans la nuit du 15 décembre 2021, marchant plusieurs kilomètres pour retrouver la liberté.
Les procureurs affirment que, même après le paiement de la rançon, Joly a hésité à libérer les otages, illustrant une fois de plus l’objectif de chantage politique. Selon des sources haïtiennes proches du dossier, l’évasion a été mise en scène pour masquer une fracture entre Joly et Lanmò Sanjou.
Joly, qui a déjà plaidé coupable l’an dernier dans une autre affaire fédérale pour trafic d’armes lié à 400 Mawozo, risque 35 années supplémentaires de prison. La décision du jury est attendue dans les jours à venir.
Selon un article de Shirsho Dasgupta et Jacqueline Charles, publié par le Miami Herald le 15 mai 2025.
https://www.miamiherald.com/news/nation-world/world/americas/haiti/article306521426.html