Dumarsais Estimé : 75 ans après son renversement, le rêve brisé d’un président visionnaire…

lEON dUMARSAIS eSTIME, ANCIEN PRESIDENT D'hAITI (1946-1950)...

MIAMI, samedi 10 mai 2025 (RHINEWS)– Ce 10 mai marque le 75e anniversaire du renversement du président haïtien Léon Dumarsais Estimé, figure emblématique d’un progressisme nationaliste dont l’héritage suscite encore admiration, nostalgie et débat au sein de la société haïtienne.

Élu le 16 août 1946 dans un contexte de renouveau post-occupation, Estimé dirigea Haïti pendant près de quatre ans, jusqu’à sa démission forcée le 10 mai 1950, sous la pression d’une junte militaire dirigée par le général Paul Eugène Magloire. Accusé par ses adversaires de vouloir modifier la Constitution pour prolonger son mandat, il est contraint de quitter le pouvoir avant la fin de celui-ci, dans un climat de fortes tensions politiques.

Aujourd’hui âgée de 92 ans, sa fille Raymonde Estimé revient avec émotion sur cet épisode décisif : « Le président était accusé de vouloir se maintenir au pouvoir, tel était du moins l’argument avancé par ses détracteurs », confie-t-elle. Pour elle, la chute de son père a représenté une immense perte nationale, dont les effets se font encore sentir dans le sous-développement structurel du pays.

Parmi les réalisations majeures de son mandat figurent l’Exposition internationale de 1949, organisée à l’occasion du bicentenaire de Port-au-Prince, qui permit à Haïti de rayonner sur la scène régionale ; le lancement de la centrale hydroélectrique de Péligre, élément central d’un vaste plan d’électrification ; la création de l’Organisme de Développement de la Vallée de l’Artibonite (ODVA), destiné à moderniser l’agriculture ; et une réforme éducative ambitieuse visant à démocratiser l’accès à l’instruction à travers la construction d’écoles publiques.

L’ancien ministre de l’Éducation nationale et historien Pierre Josué Agénor Cadet voit dans cette chute un tournant manqué. « Malheureusement, les forces d’argent, les forces réactionnaires et l’oligarchie corrompue ont entravé le changement. C’est une constante dans l’histoire d’Haïti : aucun chef d’État progressiste ne peut réaliser sa vision face à ces forces », estime-t-il.

Né le 21 avril 1900 à Verrettes, dans une famille modeste, Dumarsais Estimé perd ses parents très jeune et est recueilli par son oncle Estilus Estimé, notable engagé dans la vie politique locale. Élève brillant, il poursuit ses études au Lycée Pétion avant de devenir professeur, écrivain et, rapidement, acteur politique. Il gravit les échelons du pouvoir dans les années 1930 et 1940, devenant député, président de la Chambre des députés, puis ministre de l’Éducation nationale sous la présidence de Sténio Vincent.

Son élection à la tête de l’État en 1946, soutenue par les forces progressistes et les masses populaires, marque un moment de rupture. Dans une société encore dominée par l’élite mulâtre, il devient le premier président noir élu depuis la fin de l’occupation américaine, incarnant un espoir de justice sociale et de transformation nationale. Son action est marquée par une politique résolument modernisatrice : travaux d’infrastructure, relance diplomatique, investissements massifs dans l’éducation et l’agriculture.

L’exposition internationale de 1949, conçue comme une vitrine du progrès haïtien, devait renforcer l’intégration régionale et attirer les investisseurs étrangers. Le barrage de Péligre, destiné à alimenter en énergie l’ensemble du territoire, symbolisait cette volonté de développement endogène. L’ODVA, quant à lui, ambitionnait de révolutionner les pratiques agricoles haïtiennes par l’irrigation, la mécanisation et la formation.

Mais cette vision s’est heurtée aux résistances de l’élite traditionnelle et aux craintes des puissances étrangères, peu enclines à tolérer une politique jugée trop autonome. Accusé en 1950 de vouloir modifier la Constitution pour briguer un second mandat, Estimé est évincé par un coup de force militaire orchestré par Magloire. Ce renversement met brutalement fin à une expérience politique rare dans l’histoire haïtienne.

Exilé aux États-Unis, il tente en vain de continuer son engagement depuis l’étranger. Mais sa santé décline rapidement. Il meurt à New York le 20 juillet 1953, à seulement 53 ans, dans des circonstances jamais totalement élucidées, que sa fille attribue à un possible empoisonnement. Privé de sépulture en terre haïtienne, Estimé laisse derrière lui un legs inachevé mais fondamental.

Son parcours reste une source d’inspiration pour de nombreux Haïtiens qui aspirent à un leadership patriotique, inclusif et tourné vers le développement. Malgré les tentatives d’effacement opérées par les régimes qui lui ont succédé, la mémoire de Dumarsais Estimé resurgit aujourd’hui comme un repère essentiel dans les débats contemporains sur le renouveau démocratique, la justice sociale et la souveraineté nationale.