CAP-HAÏTIEN, dimanche 18 mai 2025 (RHINEWS)— À l’occasion de la 222e commémoration de la création du drapeau haïtien, le président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Fritz Alphonse Jean, a prononcé un discours d’une rare intensité, appelant la nation à une mobilisation urgente contre ce qu’il qualifie de « forces criminelles transnationales » et de tentative de transformation d’Haïti en « narco-État ».
« Nous sommes en guerre avec nos propres compatriotes, avec nos propres gens dans notre pays, qui veulent transformer notre territoire en un espace où la drogue est distribuée librement. Ils veulent faire de nous un narco-État. Nous disons non ! », a lancé Fritz Jean devant une foule réunie au Cap-Haïtien, ville emblématique de la mémoire révolutionnaire haïtienne.
Le président du CPT a accusé directement des réseaux mafieux, qu’il décrit comme implantés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, d’être responsables du chaos actuel. « Ils ont fait des alliances dans l’Ouest, aux États-Unis, sur le Plateau Central. Ils ont trafiqué la drogue de toutes qualités, trafiqué l’argent, les munitions. Ils ont même trafiqué des communes dans notre pays. Ils ont pris notre sécurité, nos ressources, nos actifs », a-t-il dénoncé dans une charge sans ambiguïté.
Rappelant le sens profond du 18 mai, Fritz Alphonse Jean a souligné que cette date ne saurait être réduite à une célébration folklorique, mais qu’elle incarne l’essence même du combat pour la liberté. « Nous sommes ici pour célébrer cette journée avec le sentiment que nous ne reculons pas, que nous avançons. Nous avançons parce que nous ne pouvons pas entrer dans ce chemin de liberté avec une logique de destruction. Notre mission est de construire un pays où la population vit dans la dignité », a-t-il déclaré.
Dans son discours, il a aussi abordé la marginalisation systématique des jeunes et des populations urbaines, qu’il considère comme une cause majeure de la crise actuelle. « Après une exclusion complète des jeunes hommes et femmes dans l’espace pour créer leur propre entreprise, après la marginalisation de la majorité de la population, de la ville, de l’environnement, de l’eau, de la terre… immédiatement, l’État est devenu faible », a-t-il constaté.
Le président du CPT a salué la mémoire des ancêtres qui, après douze ans de lutte, ont arraché leur liberté. « Nous symbolisons votre identité, notre identité comme un peuple qui n’a jamais été vaincu, qui n’a jamais reculé devant l’intimidation, qui n’a pas hésité à faire de grands sacrifices pour libérer notre peuple », a-t-il affirmé avec fierté.
Pour sa part, l’agente exécutive intérimaire du Cap-Haïtien, Mme Yvrose Pierre, a livré un discours empreint de fierté patriotique et de revendications claires en faveur d’une décentralisation effective, appelant à un soutien accru aux collectivités territoriales, en particulier à sa ville, haut lieu de mémoire historique.
« Créé à l’Arcahaie le 18 mai 1803, notre drapeau, bien qu’il soit un simple emblème, est le fruit d’une conscience collective et d’un engagement révolutionnaire », a-t-elle déclaré en ouverture. « Il incarne notre droit à la liberté, à la dignité, et à un destin commun. »
Mme Pierre a tenu à souligner que Cap-Haïtien n’est pas une ville parmi d’autres, mais « le vaisseau essentiel de l’histoire haïtienne ». Selon elle, trop souvent négligée par les autorités centrales, la deuxième ville du pays assume pourtant de lourdes responsabilités avec des ressources limitées : « Nous sommes en première ligne pour maintenir l’ordre, assurer les services de base, protéger nos concitoyens, et pourtant, il nous faut constamment prêter des ressources, quémander l’attention que nous méritons. »
Elle a mis en garde contre la tentation de réduire la stabilité actuelle de la ville à un simple état de fait : « Cap-Haïtien reste une ville paisible, mais cette paix n’est pas un hasard. C’est le résultat d’immenses sacrifices et de choix difficiles. »
Dans son allocution, l’agente exécutive a rappelé les efforts menés par la mairie pour préserver la cohésion sociale : « Nous avons dialogué avec les jeunes des quartiers sensibles, agi avec force et détermination, protégé notre patrimoine et mobilisé nos maigres ressources pour éviter que la ville ne bascule dans le chaos. »
Elle a plaidé pour que cette célébration nationale marque un tournant : « Le choix de Cap-Haïtien pour la fête du drapeau ne doit pas être un geste symbolique isolé, mais le début d’une reconnaissance juste et durable de notre rôle dans la reconstruction nationale. »
Alors que le pays traverse une crise sécuritaire, économique et institutionnelle grave, Mme Pierre a exhorté les autorités à renforcer les mécanismes de partenariat entre l’État et les municipalités : « Aujourd’hui, je lance un appel pour une véritable décentralisation. Que cette célébration ne soit pas seulement un symbole, mais l’ouverture d’une ère nouvelle de justice pour nos collectivités. »
« L’union fait la force n’est pas un simple slogan, c’est notre credo. Oui, nous fêtons aujourd’hui notre drapeau, mais un drapeau ne flotte pas seul. Il flotte grâce aux femmes et aux hommes de ce territoire qui, chaque jour, luttent pour en préserver le sens. »